Exsangue en raison de la crise économique, rongée par les guerres entre clans politiques, c'est une Ukraine désabusée qui votera dimanche pour élire son président. Ironie du sort, cinq ans après la révolution Orange pro-démocratique, le héros d'alors, Viktor Iouchtchenko, frôle le zéro dans les intentions de vote. Son grand rival défait l'autre Viktor, Ianoukovitch devrait quant à lui ravir la présidence, nous raconte notre collaborateur.

«Je n'en peux plus des politiciens!» Assis dans la cuisine de son appartement de Kharkov, dans l'est de l'Ukraine, Elena Naoumova zappe l'énième publicité électorale télévisée pour se réfugier vers une série américaine.

 

Cela fait cinq ans qu'elle «endure», comme les 46 millions d'Ukrainiens, les scandales et revirements politiques à répétition. La démocratie ukrainienne se forme à la dure. L'autoritarisme stable postsoviétique a cédé la place à une lutte constante pour le pouvoir entre différents clans aux accents mafieux.

La presse libre, l'un des seuls acquis de la révolution Orange qui fait assez largement consensus, en fait ses choux gras, sans ménager aucun candidat, alimentant du même coup le cynisme des électeurs.

Les lendemains de la révolution Orange

En décembre 2004, lorsque le candidat Viktor Iouchtchenko et ses partisans sont sortis dans la rue pour réclamer une reprise du deuxième tour de l'élection présidentielle, entachée par des irrégularités, Elena Naoumova a bien voulu y croire. Après un vote blanc au premier tour, elle s'était finalement ralliée à la révolution orange de l'ancien premier ministre pro-occidental, qui promettait des réformes en profondeur d'un système corrompu. «Nous avions tout de même un espoir qu'il puisse changer les choses», dit la marchande de livres dans la quarantaine. En vain.

Cette année, elle votera probablement pour l'autre Viktor, Ianoukovitch, le candidat le plus enclin, croit-elle, à aider les petits entrepreneurs comme son mari et elle. C'est lui qui avait remporté la dernière présidentielle, avant de perdre la reprise du scrutin, obtenue grâce à des manifestations monstres sur la place centrale de la capitale Kiev, orchestrées par le clan «orange» de son rival Iouchtchenko. Aujourd'hui, les sondages accordent à Ianoukovitch de 34 à 42% de la faveur populaire, loin devant les 17 autres candidats en lice.

Selon toute vraisemblance, il devrait remporter le premier tour dimanche, puis le second, le 7 février. Il s'agirait d'une douce revanche pour cet Ukrainien russophone de 59 ans peu charismatique. Il bénéficie notamment de l'appui des hommes les plus riches du pays.

Crédité de 4% des intentions de vote, le président Iouchtchenko n'est plus que l'ombre de lui-même. La déception envers l'homme porteur de tous les espoirs en 2004 ne s'est toutefois pas transformée en haine à son endroit, note Ioulia Jouravliova, journaliste à Nouvelle Vague, une radio locale de Kharkov. «Il est respecté. Sauf que ses efforts en tant que président ont surtout été mis dans des choses abstraites comme la construction de l'identité nationale ukrainienne. Mais ce qui intéresse les gens, c'est de savoir ce qu'ils vont manger demain. Il avait peut-être de bonnes intentions, mais ses projets venaient trop tôt», estime Mme Jouravliova.

La dame de fer en guerre ouverte

«Aujourd'hui, c'est comme si Iouchtchenko n'existait plus», ajoute Daria, 23 ans, la fille d'Elena. «On a l'impression que le pays est dirigé par Ioulia», dit-elle, en référence à la première ministre Ioulia Timochenko, l'une des principales figures de la révolution Orange, aujourd'hui en guerre ouverte contre son ancien allié Iouchtchenko.

Pas question par contre pour Daria d'appuyer la dame de fer de la politique ukrainienne, en deuxième ou troisième place dans les intentions de vote pour dimanche selon les sondages. «C'est une vraie leader, mais c'est une dictatrice!» lance celle qui compte voter «contre tous», comme plusieurs Ukrainiens désabusés.

En entrevue au magazine Fokus, fin décembre, Ioulia Timochenko ne cachait pas qu'elle souhaite diriger «d'une main ferme» le pays et imposer une «dictature de la loi». Elle reprenait ainsi une expression largement utilisée par Vladimir Poutine, le très populaire homme fort de la Russie voisine, critiqué pour son autoritarisme à l'étranger et louangé chez lui pour la stabilité politique qu'il a ramenée après les années de chaos politique sous son prédécesseur Boris Eltsine.

Si cette année les esprits sont moins échauffés qu'en 2004, et la population, moins intéressée par le scrutin, l'exercice demeure tout de même périlleux. Déjà, Timochenko, Ianoukovitch et d'autres candidats accusent leurs rivaux de vouloir falsifier les résultats du vote. Ils promettent tous de contester le résultat, tout d'abord devant la justice. Mais s'ils n'obtiennent pas gain de cause, ils n'excluent pas de prendre la rue encore une fois.

 

Comment vivre avec Moscou

Les relations avec la Russie et l'Occident sont aussi au coeur de l'élection ukrainienne. Après un fort clivage entre pro-Russes et pro-Occidentaux lors de la dernière présidentielle, la plupart des candidats en sont venus à la conclusion qu'ils doivent maintenir de bonnes relations à la fois avec leur allié historique et l'Europe.