La commission d'enquête sur l'engagement britannique en Irak a créé la surprise vendredi en annonçant que Gordon Brown témoignerait finalement avant les élections législatives, une audition politiquement délicate pour le premier ministre à quelques mois du scrutin.

M. Brown, ministre des Finances de Tony Blair au moment de la guerre en Irak en 2003, devait initialement déposer après ces élections, prévues au plus tard début juin. Le président de la commission indépendante, John Chilcot, avait avancé fin 2009 un argument simple: éviter à tout prix que l'enquête ne soit récupérée par l'opposition -nettement en tête dans les sondages- à des fins politiciennes. M. Brown avait accepté ce choix, tout en se disant prêt à témoigner à n'importe quel moment.

Vendredi matin, coup de théâtre: M. Chilcot annonce qu'il a proposé au premier ministre de témoigner avant le scrutin «pour une question d'équité».

«Le premier ministre m'a répondu ce matin qu'il était d'accord pour arrêter une date parmi celles que nous lui avons proposées dans les deux prochains mois», a-t-il expliqué.

Un porte-parole de l'enquête a ensuite précisé que M. Brown déposerait fin février ou début mars.

Pourquoi ce revirement ? Ces derniers jours, plusieurs témoins de premier plan ont souligné le rôle non négligeable joué par Gordon Brown avant et après la guerre en Irak.

L'ancien chef de la communication de M. Blair, Alastair Campbell, a affirmé la semaine dernière que M. Brown faisait partie du «cercle rapproché» de ministres ayant participé aux discussions.

Mardi, l'ancien ministre de la Défense Geoff Hoon est revenu à la charge en affirmant que M. Brown avait refusé au ministère de la Défense des financements stratégiques avant et après l'invasion de l'Irak, affaiblissant l'effort de guerre britannique.

Coïncidence ou pas, le même Geoff Hoon avait lancé quelques semaines plus tôt une tentative de putsch -ratée- contre M. Brown, estimant que le Labour devait changer de chef s'il voulait gagner les prochaines législatives...

Mais l'opposition a sauté sur la déposition de Geoff Hoon pour remettre la pression sur M. Brown.

«Il est tout à fait normal que Gordon Brown doive expliquer son rôle dans cet échec désastreux de la politique étrangère, avant de solliciter le vote des Britanniques», avait tonné devant la chambre des Communes Nick Clegg, le chef des Libéraux-démocrates, troisième parti britannique.

Piqué au vif, M. Brown écrivait quelques jours plus tard à la commission pour réitérer qu'il n'avait «rien à cacher» et qu'il était prêt à s'expliquer rapidement.

Le ministre des Affaires étrangères David Miliband, ainsi que le ministre au développement international Douglas Alexander, pourraient également voir leur audition avancée.

Le porte-parole des Conservateurs pour la politique étrangère, William Hague, s'est félicité vendredi de cette décision. En tant qu'ancien ministre des Finances, M. Brown «doit de toute évidence répondre à de nombreuses questions», a lancé le responsable tory, dont le parti avait approuvé l'engagement britannique aux côtés des Américains en 2003.

La décision de M. Brown s'annonce à double tranchant selon la presse britannique: le premier ministre, qui avait pourtant pris ses distances sur la question par rapport à son prédécesseur, en 2007, pourrait se voir associé dans l'esprit du grand public à une décision restée très impopulaire au Royaume-Uni.

Son témoignage pourrait au contraire donner de lui l'image d'un dirigeant déterminé et courageux. Et couper l'herbe sous le pied de Tories toujours prompts à faire passer M. Brown pour un premier ministre affaibli et indécis.