L'exercice a pour le moins fait sourire les correspondants de presse originaires de pays de tradition anglo-saxonne. Désormais au plus bas dans les sondages - 32% d'opinions favorables -, Nicolas Sarkozy a décidé de s'offrir plus de deux heures de télévision gratuite. Le président français, qui n'a pas donné une conférence de presse depuis le début de son mandat, et qui évite les émissions politiques dans lesquelles il pourrait croiser des journalistes agressifs, s'est offert une émission spéciale face à 11 Français «ordinaires».

Cela se passait hier soir sur TF1, de loin la première chaîne de télé du pays avec en moyenne plus de 25% de parts d'audience, bien devant tous ses concurrents. TF1 appartient à Martin Bouygues, patron de l'une des premières entreprises mondiales de travaux publics, et intime de Nicolas Sarkozy.

 

Pour la circonstance, on avait écourté le téléjournal de 20 heures, puisque le président entrait en scène à 20h15, face à la présentatrice Laurence Ferrari, qui n'est pas la plus dangereuse des intervieweuses. La chaîne privée avait renoncé à la tranche publicitaire de 20h30, plus importante de la soirée, et l'émission s'est poursuivie aussitôt, face à des Français sélectionnés par TF1 pour leur représentativité, et un animateur choisi par le président.

Le groupe constitué par TF1 n'était pas ridicule. On y trouvait un trentenaire d'origine maghrébine, un autre d'origine africaine, une diplômée de 26 ans à la recherche d'un premier emploi, une employée d'entretien payée au salaire minimum dans la grande distribution, une agricultrice au bord du dépôt de bilan, un délégué syndical dans l'automobile qui n'avait pas froid aux yeux, une infirmière débordée, bref une nette majorité de mécontents sans complaisance. Notamment sur le chômage, la dégradation du système hospitalier, les salaires faramineux de quelques grands patrons, etc.

«Empathie» et proximité

Cela devait durer une heure. On a eu droit au double. Nicolas Sarkozy, qui est un grand communicateur, a joué la carte de «l'empathie», comme l'a dit par la suite le chef du service politique de LCI (l'équivalent de RDI). Prévenu à l'avance de la profession et de la situation de ses interlocuteurs, et donc des questions qu'ils risquaient de lui poser, il a montré qu'il connaissait sur le bout des doigts les dossiers les plus techniques: du prix payé aux producteurs laitiers jusqu'aux subtilités budgétaires dans les hôpitaux.

À la «technicienne de surface» mal payée, il a dit: «Je crois connaître votre employeur, et je vais me rapprocher de lui pour lui parler de la nécessité de faire faire des heures supplémentaires.» Devant le syndicaliste salarié chez un sous-traitant de Renault, il s'est engagé à «relocaliser» des unités de production parties à l'étranger.

Commentaire du politologue Pascal Perrinaud après le show de Sarkozy: «Il a davantage joué la carte de la proximité que surplombé la situation dans le style présidentiel.» Utilisation des prénoms, gestes et sourires de sympathie même face à un interlocuteur agressif, le tout avec un aplomb parfait. Sur le thème: je fais tout ce que je peux sur tous les fronts pour remédier à une situation difficile, et j'accepte d'être jugé sur mes résultats au terme de mon mandat en mai 2012.

Bref, un numéro brillant à la Sarkozy mais, comme me l'a dit une retraitée «pas sarkozyste», ancien cadre supérieure à la Caisse des dépôts: «Il n'a dû convaincre que les gens de son camp.» S'il avait réussi ne serait-ce qu'à mobiliser son propre camp, ce serait déjà un beau succès: avec 32% d'opinons favorables, Sarkozy reste très loin de ses 53% de mai 2007. Et les élections régionales de mars prochain s'annoncent désastreuses pour la droite.