Le concurrent de l'émission Zone extrême est posté derrière une console décrite comme le «générateur de châtiments». Elle comporte une série de leviers qui permettent d'envoyer des décharges de plus en plus puissantes à son partenaire, assis dans une chaise électrique.

Chaque fois que ce dernier échoue à répéter de mémoire une association de mots, le concurrent pousse un nouveau levier qui lui vaut un nouveau choc. Ses cris de protestation se font de plus en plus insistants jusqu'à ce qu'il réclame, suppliant, l'arrêt du jeu. «Laissez-moi partir», lance-t-il d'une voix désespérée.

Le concurrent continue : 300 volts, 400 volts, jusqu'au dernier levier, même si son partenaire ne dit plus rien depuis déjà un moment - un silence qui suggère qu'il est mort.

La scène, qui se déroule face à un public de plus en plus préoccupé, était présentée hier soir sur la chaîne publique France 2 à une heure de grande écoute.

Bien que les apparences aient été trompeuses, il ne s'agissait pas d'une véritable mise à mort en direct. Les images étaient tirées d'un nouveau documentaire basé sur une singulière expérience audiovisuelle.

Soumission à l'autorité

Avec l'aide de chercheurs qualifiés, l'auteur du documentaire, Christophe Nick, a recruté 80 personnes pour reproduire les expériences menées dans les années 60 par le psychologue américain Stanley Milgram sur les mécanismes de soumission à l'autorité.

Les participants que l'on voit dans le documentaire Jeu de la mort n'ont découvert qu'à l'issue de leur passage en studio qu'ils étaient en fait les cobayes. Et que Zone extrême n'était pas, comme on le leur avait dit, un pilote de jeu télévisuel.

Malgré les cris de douleur croissants de la «victime» - un comédien qui ne ressentait en fait rien du tout -, plus de 80% des participants sont allés jusqu'à la décharge la plus forte. Seule quelques-uns ont ensuite dit regretter leur participation à l'expérience, même si elle constituait clairement une source de traumatisme potentiel pour eux.

Christophe Nick a expliqué, en prévision de la diffusion très médiatisée du documentaire, que son principal objectif était de susciter un débat sur le pouvoir démesuré de la télévision. De démontrer qu'elle «peut faire faire n'importe quoi à n'importe qui», y compris tuer un homme en direct.

Il est grand temps, dit-il, de s'interroger sur la dérive des émissions de téléréalité, qui n'hésitent pas à aller sans cesse plus loin dans l'abjection en jouant sur l'humiliation, la cruauté ou l'avilissement.

Le résultat de la reprise du test de Milgram a fortement impressionné quelques intellectuels, dont les commentaires ont été reproduits sur le site de France 2 en prévision de la diffusion d'hier.

Vers la mort en direct?

«Il y a un constat qu'au fond, chacun de nous pressent depuis longtemps que la télévision mondiale et planétaire est engagée dans un processus de course à l'audience qui fait que la transgression est sans arrêt reculée... On se dit que l'ultime étape est la mort en direct», souligne le journaliste et écrivain Jean-Claude Guillebaud.

D'autres sont plus sceptiques et relèvent que le documentaire ne s'attarde guère sur le fait que plusieurs participants ont affirmé n'avoir jamais cru que la personne dans la chaise électrique mourait véritablement.

Laurent Bègue, qui enseigne la psychologie sociale à l'Université de Grenoble, doute de la thèse de Christophe Nick selon laquelle la télévision a un pouvoir d'influence vraiment exceptionnel.

En s'inspirant de l'approche de Milgram, qui utilisait un faux chercheur plutôt qu'une animatrice pour incarner l'autorité, des recherches ultérieures ont permis d'obtenir des taux d'obéissance de 80 ou 90%. Le taux obtenu dans l'expérience de Christophe Nick n'a donc rien d'exceptionnel, estime M. Bègue.

«La télévision n'a pas l'apanage de la soumission autoritaire... Toute organisation sociale comporte un dispositif hiérarchique susceptible de faire jouer ce mécanisme», dit-il en entrevue.

Bien que la démonstration du documentariste ait ses limites, M. Bègue note qu'il n'en demeure pas moins troublant de constater le «petit nombre de ceux qui se comportent en individus libres» face à l'autorité dans des circonstances extrêmes.