Des dizaines de morts, un ministre de l'Intérieur peut-être exécuté, un président en fuite, un gouvernement renversé, des pillages, des manifestants déchaînés... Le Kirghizistan a été secoué hier par la colère de l'opposition au gouvernement, qui a pris les rênes de cette république d'Asie centrale instable.

De sa résidence à Bichkek, Mirsulzhan Namazaliev a vu des gens blessés fuir les affrontements avec la police. L'économiste et militant des droits civiques dit être contre le recours à la violence pour renverser un gouvernement. Et cette fois-ci, croit-il, l'opposition est allée trop loin. 

«Mais il ne faut pas oublier une chose: ces tristes événements ont été engendrés par le gouvernement qui a restreint la liberté de se rassembler, a-t-il écrit hier à La Presse. À partir de là, les manifestants étaient prêts à faire face aux autorités et à résister.»

Les premiers heurts ont éclaté lorsque la police a tenté en vain de disperser les manifestants rassemblés près du siège de l'opposition. À la suite de violents affrontements, les autorités ont décrété l'état d'urgence et imposé un «couvre-feu». La situation a ensuite dégénéré lorsque les forces de sécurité ont ouvert le feu, utilisé des gaz lacrymogènes et des grenades assourdissantes contre les manifestants, rapporte l'AFP. Les opposants sont finalement entrés dans le parlement.

Le président Kourmanbek Bakiev, arrivé au pouvoir en 2005 après la «révolution des tulipes», a quitté la capitale Bichkek hier soir pour une destination inconnue. Le premier ministre Daniar Oussenov a «remis une lettre de démission» après des négociations avec l'un des chefs de l'opposition. Celle-ci a alors formé son «propre gouvernement» dirigé par l'ex-ministre des Affaires étrangères, Rosa Otounbaïeva.

Le renversement annoncé du gouvernement n'a pas immédiatement calmé manifestants et policiers, qui ont continué à s'affronter dans les rues de Bichkek. Au moins 47 personnes ont été tuées dans la journée d'hier, mais l'opposition estime plutôt le nombre de victimes à 100.

En soirée, des immeubles ont été incendiés, dont le parlement. La maison du président Bakiev a été pillée et incendiée par des inconnus qui en sont ressortis avec de gros sacs de plastique remplis de vêtements, de draps et de vaisselle, selon un correspondant de l'agence Interfax sur place. D'autres informations indiquent que le musée national ainsi que des commerces de la capitale ont aussi été victimes de pillards.

Tous contre Bakiev

Les manifestants ont marqué ainsi leur mécontentement envers leur président, porté au pouvoir il y a cinq ans, qui avait promis une démocratisation du pays. Mais au cours des derniers temps, il était surtout critiqué pour sa dérive autoritaire et son népotisme. Le premier ministre russe, Vladimir Poutine, a même déclaré hier que Bakiev a pris la même dérive que le président Akaev, qu'il avait remplacé en 2005.

Selon Mirsulzhan Namazaliev, la population des régions hors capitale, particulièrement celles du Nord, était plus excitée par la tournure des événements que celle de Bichkek, où la peur régnait hier soir. Un des correspondants de M. Namazaliev a évoqué sur le réseau Twitter des craintes que le président Bakiev se soit réfugié dans le sud du pays et qu'il pourrait attiser des tensions entre les communautés du Nord et du Sud.

Les troubles ont commencé dans la ville de Talas (Nord-Ouest) mardi, où s'est d'ailleurs rendu le ministre de l'Intérieur, Moldomoussa Kongantiev, pour calmer les manifestants. Hier, selon plusieurs sources, le ministre aurait été «sévèrement battu» et serait même mort. Un porte-parole du Ministère a cependant démenti l'information.

 

Le Kirghizistan en bref


Population : 5,4 millions

Population urbaine : 36%

Âge médian : 24,4 ans

Espérance de vie : 69,4 ans

Religion : Musulmans (75%), chrétiens orthodoxes (20%), autres (5%)

PNB par personne : 2100 $