Les fantômes de la guerre civile espagnole ont longtemps été présents dans la famille d'Emilio Silva. Mais la plus grande discrétion était de mise à leur sujet.

«Quand j'avais 12 ou 13 ans, mon père m'a parlé à quelques reprises de ce qui est arrivé à mon grand-père. Mais je me souviens bien qu'il disait que ce qu'il me racontait ne devait pas sortir de la maison», relate ce journaliste de 44 ans.

Comme des milliers de ses compatriotes républicains, le grand-père en question a été assassiné en 1936 durant la guerre civile espagnole par des miliciens partisans de Francisco Franco, qui a régné d'une main de fer sur le pays jusqu'en 1975.

Son corps, ainsi que ceux d'une douzaine d'autres hommes, a été placé dans une fosse commune qui est restée oubliée pendant des décennies. Jusqu'à ce que M. Silva la retrouve, presque sans l'avoir voulu, en 2000.

C'est en se rendant dans la région où il passait ses vacances d'été pour interviewer des personnes ayant vécu la guerre civile que M. Silva s'est vu mener jusqu'à l'endroit où reposait son aïeul.

S'inspirant de l'émotion ressentie à cette occasion, il écrit dans un journal local le récit de la disparition de son grand-père. Et reçoit, dans la foulée, l'appel d'un archéologue local qui affirme pouvoir l'aider à exhumer les corps de la fosse.

Juge menacé

C'est le début d'une longue croisade pour M. Silva, qui n'a cessé depuis d'aider d'autres familles de victimes du franquisme à retrouver les restes de leurs proches.

L'Association pour la récupération de la mémoire historique qu'il a créée a procédé, au fil des ans, à l'ouverture de près de 200 fosses. Et la liste ne cesse de s'allonger.

Dans bien des villages, la peur du régime franquiste demeure bien ancrée dans les mémoires, ce qui freine le processus. «La génération de mon père a renoncé à rechercher les corps et à faire des réclamations. Il a fallu attendre la génération suivante», indique-t-il.

Le sujet demeure d'autant plus sensible que l'Espagne a adopté une loi d'amnistie en 1977 relativement aux exactions du régime franquiste.

C'est pour avoir voulu aller à l'encontre de cette amnistie en enquêtant sur les victimes du franquisme que le juge Baltasar Garzón, célèbre pour avoir fait arrêter l'ex-dictateur chilien Augusto Pinochet en 1998, se retrouve aujourd'hui menacé de destitution.

Des associations ont porté plainte à son encontre devant le Tribunal suprême espagnol pour «prévarication» en relevant qu'il avait sciemment cherché à contourner la loi.

Parmi les plaignants figure un «syndicat de fonctionnaires», Manos Limpias, ou Mains propres, qui dit se consacrer à la lutte contre la corruption et au respect de la loi.

Son secrétaire général, Miguel Bernard Remon, affirme que le but de son organisation n'est pas de protéger le franquisme, comme l'affirment les médias de gauche du pays, mais de punir les dérapages juridiques du juge Garzón, accusé «d'ouvrir les blessures des deux Espagnes».

En finir avec le silence

Le porte-parole ne cache pas pour autant son enthousiasme pour l'ex-dictateur. «Durant le régime franquiste, il y a eu des zones de lumière et des zones d'ombre. Mais les zones de lumière ont été plus importantes», dit-il.

M. Silva pense pour sa part que les tenants de l'ancien régime cherchent à utiliser le système judiciaire pour intimider ceux qui veulent enfin regarder en face le passé du pays.

Il tire réconfort du fait que des manifestations d'appui au juge Garzón ont eu lieu un peu partout en Espagne, suggérant que la société espagnole veut en finir avec le silence.

Bien que le gouvernement ait adopté il y a quelques années une loi censée faciliter l'exhumation des dépouilles des victimes du franquisme, elle demeure d'application limitée, souligne M. Silva, qui aimerait voir le gouvernement socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero faire plus à ce sujet.

Les bruyants débats en cours relativement au procès du juge Garzón le font souvent penser à sa grand-mère, morte quelques années avant l'exhumation de la dépouille de son mari.

«J'ai passé 28 étés avec elle et je ne l'ai jamais entendue parler de la mort de mon grand-père. Je pense qu'elle avait les dents profondément fichées dans sa langue pour se retenir», dit-il.