L'Allemagne, secouée par plusieurs affaires dramatiques de jeunes filles mariées sans leur consentement, veut mettre au ban ces pratiques en renforçant les sanctions pénales contre leurs responsables.

Début mai, Fatima, 15 ans, a lancé un appel au secours à l'un de ses professeurs via Internet. «Je ne peux pas sortir d'ici, je suis enfermée». L'adolescente de Hambourg (nord) affirme avoir été envoyée de force à Berlin chez les parents de son futur époux pour y être mariée. La police intervient. Mais la jeune fille reviendra sur ses propos et assure n'avoir été ni mariée de force ni violée.

Peu avant, à Berlin, une adolescente kurde de 14 ans a été «vendue» par ses parents à son futur époux, pour 15 500 euros.

Ces deux drames récents s'ajoutent à une liste d'affaires de mariages forcés qui ont poussé les responsables politiques allemands à agir.

Le Bundesrat, la chambre haute du Parlement qui représente les régions, a adopté en février une proposition de loi qui fait du mariage forcé une infraction, passible d'une peine de six mois à dix ans de prison. Ce projet, qui doit encore être examiné par les députés, pourrait devenir loi d'ici la fin de l'année.

La lutte contre cette «grave atteinte aux droits de l'Homme» est également inscrite dans le contrat de coalition qui lie les chrétiens-démocrates (CDU) et les libéraux (FDP) gouvernant ensemble sous la houlette d'Angela Merkel depuis octobre.

«L'Allemagne a en effet besoin d'un signal clair qu'elle ne tolère pas les mariages forcés», assure Serap Cileli, militante des droits de l'Homme et auteure remarquée d'un ouvrage sur la question «Nous sommes vos filles, pas votre honneur».

«La dimension criminelle des mariages forcés sera ainsi montrée clairement aux familles», ajoute cette femme d'origine turque, en militant pour une loi au niveau européen.

«Les jeunes filles menacées d'être mariées de force pourront également dire à leurs parents: "ce que vous faites est interdit et vous pouvez aller en prison pour cela"», renchérit Sybille Schreiber de l'organisation «Terre des femmes».

En raison des difficultés à mener une étude, aucun chiffre fiable n'existe mais les associations qui viennent en aide à ces adolescentes estiment que plus de 1 000 cas de mariages forcés ont lieu chaque année en Allemagne.

Nombre de ces jeunes filles sont musulmanes, mais pas seulement. Et les estimations ne concernent que les cas où les victimes se manifestent.

«Les adolescentes prennent contact avec nous le plus souvent par téléphone ou par mail. Nous leur garantissons un anonymat complet», détaille Anja Kiefer, directrice de projet de la Maison des jeunes filles à Bielefeld (ouest) qui propose une aide d'urgence.

Mais, «90% des jeunes filles préfèrent se taire par peur» des représailles, rappelle Serap Cileli.

«Nous ne demandons pas aux jeunes filles de quitter leur famille», explique Iris Jäger, responsable à Hambourg du centre d'écoute i.bera. «Malgré les violences, quand on est une jeune fille, on ne veut pas perdre sa famille».

«Une majorité de filles retournent chez leurs parents», renchérit Sybille Schreiber. «Leurs familles leur font un tas de promesses ou leur disent que leur mère est atteinte d'une maladie incurable».

Surtout, souligne une responsable du centre d'aide berlinois Papatya qui a requis l'anonymat, de nombreux mariages forcés ont lieu à l'étranger.

Les jeunes filles sont souvent envoyées dans leur pays d'origine, Turquie, Liban, Syrie, Kosovo, Iran ou Irak. Souvent, elles ne peuvent plus revenir en Allemagne car leur passeport et leur argent ont été confisqués. Et la proposition de loi actuellement en débat ne pourra rien y changer.