Les Pays-Bas ont traditionnellement été considérés comme une «oasis de tolérance» où chacun était libre de vivre comme il le voulait, sans égard à son origine ou ses convictions religieuses. Mais l'image prend l'eau.

«C'est une sorte de fantaisie romantique qui a été plaquée de l'extérieur et que les Néerlandais n'ont jamais démentie parce qu'elle était valorisante. La réalité est différente», souligne Bas Heijne, chroniqueur politique au quotidien NRC Handelsblad.

Les discussions politiques ont commencé il y a un peu plus de deux semaines en vue de former un gouvernement de coalition. Elles devraient durer jusqu'au début du mois de septembre.

Ce qui est certain, c'est que ce nouveau gouvernement dépendra du soutien de la formation populiste de Geert Wilders. Ce qui n'est pas de nature à bien faire paraître le pays, convient M. Heijne.

Le controversé élu, connu pour ses sorties islamophobes, s'est retrouvé en position-clé après le scrutin de juin dernier, son Parti pour la liberté étant arrivé troisième avec 24 sièges (sur 150), soit 15 de plus qu'en 2006.

Sur deux planètes différentes

«Je n'en reviens toujours pas de la tenue de ces négociations. Mais je ne m'étonne pas qu'autant de gens aient voté pour lui», souligne Moura Mooiman, qui s'affairait à l'entretien de ses fleurs lorsque La Presse l'a croisé hier dans un quartier résidentiel d'Amsterdam.

Bien que la femme de 52 ans ne partage pas du tout les «solutions» avancées par M. Wilders - qui propose notamment d'interrompre l'immigration musulmane et de bannir le Coran - elle lui reconnaît le mérite d'avoir «ouvert la bouche» au sujet des ratés du modèle d'intégration néerlandais.

«Pendant longtemps, c'était pratiquement un tabou», souligne Mme Mooiman, qui s'inquiète de constater que Néerlandais «de souche» et immigrants musulmans vivent parfois «sur deux planètes distinctes».

Hafida, femme d'origine marocaine de 29 ans qui aide à l'entretien de la maison de Mme Mooiman, ne cache pas son aversion pour Geert Wilders. «Il a une grande gueule», explique-t-elle.

L'immigrante d'origine marocaine, qui vit aux Pays-Bas depuis 10 ans, affirme avoir été bien reçue par la population à son arrivée. Mais elle peine à comprendre comment le Parti de la liberté peut avoir reçu un aussi fort soutien. «Il doit y avoir beaucoup de gens qui n'aiment pas l'islam», dit-elle.

La jeune femme n'est pas la seule à s'inquiéter de l'impact qu'aura Geert Wilders sur son avenir.

«Mes amis disent qu'il y aura des problèmes pour nous s'il arrive au sommet. Mais moi je ne sais pas trop quoi en penser», souligne Ousman, jeune homme d'origine pakistanaise rencontré à la mosquée al-Karam, quelques coins de rue plus loin.

Lors du passage de La Presse, un vieillard chantonnait des sourates dans un coin de la salle de prière, aménagé dans un bâtiment traditionnel discret avec une affiche stylisée semblant annoncer un restaurant plutôt qu'un lieu de culte.

«On s'entend très bien avec les voisins. Il y a eu une fois quelques protestations parce que nous avions tenu une cérémonie jusque tard dans la nuit. Mais sinon, tout va bien, nous faisons attention de ne pas déranger», dit Ousman, qui affirme avoir toujours été traité avec respect, incluant lorsqu'il voulait prier en marge de son travail dans un restaurant.

Un tabou et des excès

La communauté musulmane du pays craint que la montée en pouvoir de Geert Wilders ne se traduise par un nouveau tour de vis, tant à l'intérieur du pays qu'aux frontières.

«Tout le monde suit les nouvelles au quotidien pour savoir ce qui va se passer», souligne Ibrahim Spalburg, qui chapeaute une plateforme d'organisations musulmanes à Rotterdam.

«Geert Wilders manipule constamment les médias pour propager ses faussetés... Les gens n'ont pas la moindre idée de ce qu'est vraiment l'islam», déplore M. Spalburg.

Selon le chroniqueur Bas Heijne, la classe politique néerlandaise a trop longtemps ignoré les tensions identitaires qui se développaient dans le pays, laissant toute la place aux excès du chef du Parti pour la liberté.

«Les élites considéraient que cette question d'identité était dépassée, nauséabonde... Un bon point de départ aujourd'hui serait de s'occuper de la problématique plutôt que de l'ignorer en espérant qu'elle disparaisse», souligne l'analyste.