Que diriez-vous si vos enfants étaient surveillés au service de garde ou à l'école par l'entremise de puces électroniques intégrées à leurs vêtements ou leurs cartables?

En France, l'idée passe très mal, comme vient de le constater à ses dépens une firme de haute technologie de la région toulousaine, Lyberta, qui a suscité une levée de boucliers en annonçant un projet-pilote de ce type.

Le quotidien Le Parisien a révélé il y a quelques semaines que l'entreprise entendait lancer en 2011 dans un service de garde non identifié de la région parisienne une «expérimentation» avec un système incorporant des puces pour assurer la sécurité des enfants.

Ces puces, dites de type RFID, permettent de sto-cker quelques informations de base et peuvent être lues à distance. De plus en plus répandues, elles sont utilisées notamment pour la gestion de stocks, mais aussi pour le contrôle du bétail et l'identification des animaux domestiques.

Le PDG de Lyberta, Patrick Givanovitch, a expliqué que le projet prévoyait l'installation de sondes «un peu partout» dans le service de garde pour établir une cartographie complète du bâtiment. «Grâce à la puce portée par chaque enfant, il sera possible de savoir instantanément si l'un d'eux quitte (les lieux)», a-t-il précisé.

La Ville de Paris a rapidement publié un communiqué pour dénoncer le projet en relevant qu'il ne devait pas se tenir dans un des établissements financés par ses services.

L'administration juge l'initiative à la fois «inefficace, inutile, anxiogène et contraire aux valeurs éthiques et professionnelles».

Christophe Nadjovski, adjoint de la Ville chargé de la petite enfance, affirme qu'il y voit «une dérive inquiétante, celle d'une société de surveillance et de contrôle».

Parents inquiets

Une porte-parole de la Ville a expliqué hier que les autorités s'étaient senties tenues de réagir pour rassurer la population. «Nous avons eu beaucoup d'appels de parents inquiets», a dit Krystel Lessard.

Plusieurs spécialistes sont montés au front, dont Dominique Ratia-Armengol, qui chapeaute l'Association nationale des psychologues de la petite enfance. L'introduction d'une «cage virtuelle» est effrayante et risquerait de mener à un appauvrissement des liens humains et du soutien auquel les enfants ont droit, dit-elle.

Les réserves exprimées ont secoué Lyberta, qui a annoncé cette semaine à La Presse son intention de faire une croix sur l'expérience projetée dans le service de garde.

«Je ne veux pas aller dans un combat éthique, je travaille sur le plan pratique», a expliqué le PDG de l'entreprise, qui accuse les médias d'avoir dramatisé la portée de l'affaire.

L'objectif n'était pas de suivre les enfants à la trace, mais simplement de s'assurer qu'ils se trouvent toujours dans un périmètre de sécurité établi, souligne M. Givanovitch, qui parle de «détection» et récuse le terme «surveillance».

Rien à voir, dit-il, avec l'expérience menée depuis la rentrée par une école maternelle de Richmond, en Californie, qui dote chaque matin les enfants d'un dossard comportant une puce.

Les déplacements des enfants peuvent être suivis sur un écran, et des codes de couleur permettent d'alerter les responsables si le nombre d'enseignants est insuffisant ou si l'un des enfants s'approche d'une sortie ou quitte les lieux.

Dans les aéroports

L'entreprise Lyberta n'est pas la seule à songer à utiliser la technologie à des fins de ce type sur le continent. Même la Commission européenne, qui a émis des balises à ce sujet, contribue au financement d'un projet, baptisé Optag, visant à éviter les retards dans les aéroports. Les passagers seraient munis de cartes d'embarquement intégrant des puces RFID de manière à pouvoir être retracés rapidement s'ils omettent de se présenter à temps à la porte prévue.

L'initiative a fait bondir la Commission nationale de l'informatique et des libertés, qui évalue en France les atteintes à la vie privée pouvant découler de l'introduction de nouvelles technologies.

Son président, Alex Türk, juge le projet Optag «extrêmement inquiétant». «On assiste à un changement de nature profond de la société, qui fait qu'on peut de moins en moins se retrouver seul et incognito», a-t-il déclaré à la revue VSD.