Le ministre de l'Intérieur français, Brice Hortefeux, se retrouve au coeur d'une vive polémique avec le monde judiciaire après avoir critiqué la condamnation de plusieurs policiers ayant cherché à incriminer un homme innocent.

Le président de l'Union syndicale des magistrats (USM), Christophe Régnard, affirme que la sortie du ministre, qui n'en est pas à sa première incartade du genre, foule aux pieds la séparation constitutionnelle prévue entre pouvoirs exécutif et judiciaire.

«Nous sommes exposés à des critiques et des contestations permanentes des policiers qui sont relayées par le gouvernement (...) Quand je raconte à des collègues d'autres pays ce qui se passe chez nous, ils n'arrivent pas à croire que c'est possible. Ce sont des choses que l'on voit dans des pays non démocratiques», souligne en entrevue M. Régnard.

L'incident à l'origine de la polémique est survenu en septembre à Aulnay-sous-Bois, en banlieue parisienne. Un policier a alors été percuté par la voiture de collègues lors d'une poursuite. Les agents ont convenu d'imputer la blessure au chauffeur poursuivi, qui a été placé en garde à vue pour «tentative d'homicide sur fonctionnaire de police». Un chef d'accusation pour lequel il risquait, en théorie, la prison à perpétuité.

Jugement «disproportionné»

La version a rapidement pris l'eau, entraînant une enquête sur les policiers, qui ont finalement été accusés de «dénonciation calomnieuse» et de «faux en écriture publique». Évoquant la gravité des faits allégués, le tribunal de grande instance de Bobigny a tranché vendredi en leur imposant des peines de prison ferme allant de six mois à un an.

La décision a suscité l'indignation des syndicats de policiers, qui ont organisé le jour même une manifestation devant le tribunal pour faire savoir leur colère. «Si on veut décourager les policiers, on a visé juste», a déploré le secrétaire général d'Alliance, Jean-Claude Delage. Un autre syndicat policier proche du gouvernement, Synergies, a aussi souligné son indignation.

Prenant le dossier au bond, le ministre de l'Intérieur a déclaré que le jugement pouvait «légitimement apparaître» comme étant «disproportionné» aux yeux des policiers.

«Notre société ne doit pas se tromper de cible: ce sont les délinquants et les criminels qu'il faut mettre hors d'état de nuire», a-t-il souligné.

Critiqué par le ministre de la Justice

L'USM ainsi que le Syndicat de la magistrature ont alors accusé Brice Hortefeux de «vouloir se substituer aux juges». Le Parti socialiste a qualifié son intervention «d'irresponsable» tandis que le Parti radical de gauche réclamait l'application à son encontre d'un article du code pénal interdisant «de chercher à jeter le discrédit publiquement sur une décision juridictionnelle».

Le ministre de la Justice, Michel Mercier, a aussi critiqué son collègue du gouvernement en soulignant que c'était à la Cour d'appel de se prononcer sur la justesse des peines retenues.

Loin de se montrer troublé par les remontrances modérées de son collègue, le ministre Hortefeux a déclaré dimanche qu'il «confirmait, revendiquait et assumait» ses propos.

Le quotidien Le Monde, dans un éditorial, a accusé hier le gouvernement de faire «dans la surenchère» dans ses attaques contre les magistrats pour détourner l'attention de son bilan «décevant» en matière de sécurité.

Un avis partagé par M. Régnard, qui demande au ministre de la Justice de convoquer une réunion regroupant les principaux syndicats de la police et de la magistrature pour tenter d'aplanir les divergences entre les deux camps.

Si la demande reste sans suite, l'USM se résignera à porter plainte au pénal pour garantir le respect du travail des magistrats, prévient-il.

«Ça n'enverrait pas une très bonne image (...) Tout comme ça n'envoie pas une très bonne image quand des policiers manifestent devant un tribunal», conclut M. Régnard.