Les portes du pouvoir autoritaire biélorusse ont tremblé. Contestant une réélection «frauduleuse» du président Aleksander Loukachenko hier soir, environ 30 000 manifestants ont tenté de prendre d'assaut le siège du gouvernement. Ils ont été violemment réprimés par les forces de l'ordre. Récit d'une soirée de vitres et d'espoirs brisés.

Les manifestations étaient aussi prévisibles que la victoire facile au premier tour du «dernier dictateur d'Europe», avec de 72,2 à 81,4% des voix, selon les sondages officiels à la sortie des urnes. Mais ni l'opposition ni le pouvoir ne pensaient que la soirée électorale se terminerait par les plus grands affrontements jamais vus en 16 ans de régime Loukachenko.

Vingt heures, place d'Octobre. Le rendez-vous avait été donné il y a déjà plusieurs jours par la plupart des neuf candidats de l'opposition. Avant même la fermeture des bureaux de vote, ils n'avaient aucun doute: les résultats de l'élection, comme d'habitude, seraient falsifiés par le pouvoir, qui détenait le pouvoir quasi absolu sur le processus électoral.

Le candidat Vladimir Nekliaïev n'a jamais pu se rendre au rendez-vous. Alors qu'il quittait son bureau de campagne, des membres de son équipe et lui ont été fortement battus par des policiers en civil. Le poète de 64 ans a subi un traumatisme crânien et a été transporté à l'hôpital. En fin de soirée, sa porte-parole a déclaré à Evroradio, radio polonaise diffusée en biélorusse, que Nekliaïev avait disparu de sa chambre, «kidnappé» par les forces de l'ordre.

La tâche de diriger la foule est donc revenue à Andreï Sannikov, autre figure de proue de l'opposition, appuyé par d'autres candidats défaits. Ils ont été visiblement pris de court par l'ampleur de la mobilisation. À la dernière présidentielle en mars 2006, environ 10 000 citoyens s'étaient rassemblés sur cette même place pour les mêmes raisons. Hier, ils étaient au moins trois fois plus.

Après une heure de tergiversations, une marée humaine a quitté la place d'Octobre pour défiler sur l'avenue de l'Indépendance, artère principale de la capitale. Direction: le bâtiment du gouvernement, qui abrite aussi le parlement et la commission électorale.

À quelques centaines de mètres de l'immeuble clé du pouvoir biélorusse, chaque pas devenait de plus en plus hésitant. Les forces de l'ordre étaient toujours invisibles - si ce n'est par l'intermédiaire de quelques peu subtils agents du KGB qui filmaient la foule -, mais tous savaient qu'elles pourraient surgir à tout moment.

«Où allons-nous?» criait un manifestant anonyme. Personne ne pouvait lui répondre, pas même les candidats défaits. Se relayant au micro, ils exigeaient un second tour de scrutin, assurant que la «victoire (était) proche». Entre les silences, les protestataires regardaient autour d'eux, attendant le prochain signal.

Rendus sur les marches du parlement, le point de non-retour a été franchi. Des jeunes au visage camouflé ont commencé à casser les vitres de l'immeuble, mais les barricades installées à l'intérieur les ont empêchés d'entrer. Les leaders de la manifestation ont tout d'abord chercher à les décourager, puis les ont laissés faire.

Manifestation réprimée

Les policiers antiémeutes sont ensuite sortis de nulle part, frappant bruyamment leurs boucliers les uns contre les autres, puis attaquant des manifestants à coups de matraque.

À un moment, la foule a cru que, minoritaires, les quelques centaines de policiers entendraient son appel à unir «la police avec le peuple» pour renverser le régime. Alors qu'ils se croyaient en position de force, Andreï Sannikov et les autres leaders de l'opposition ont appelé les représentants de l'ordre à «mener des négociations».

Mais lorsque les renforts sont arrivés et que des milliers de policiers ont envahi la place, les espoirs se sont envolés. Plusieurs protestataires - et certains journalistes - ont été frappés à coups de pied par les plus féroces agents. Après divers mouvements de troupes, les forces policières ont encerclé un groupe d'environ 200 manifestants aux abords du siège du gouvernement et les ont poussés dans des fourgons. Andreï Sannikov et trois autres candidats font partie des personnes arrêtées.

À 23h30, la circulation avait repris sur l'avenue de l'Indépendance, la révolution était morte et Aleksander Loukachenko était réélu pour cinq ans.