Il y a un an, Karima el Mahroug dormait sur les bancs publics de Milan. Fille de pauvres immigrés marocains, l'adolescente avait fui son foyer d'accueil et travaillait comme danseuse exotique dans les bars pour gagner sa vie.

Aujourd'hui, elle s'appelle Ruby Rubacuori, la voleuse de coeurs. Elle est célèbre dans toute l'Italie. À Gênes, on l'a vue émerger d'une Ferrari rouge, des paparazzis se pressant autour d'elle pour immortaliser ses courbes voluptueuses drapées d'une robe Yves Saint Laurent.

Dans l'intervalle, il y a eu un homme: Silvio Berlusconi.

Pendant des années, le premier ministre de l'Italie a semblé inébranlable. Corruption, fraudes, frasques sexuelles, liens avec la mafia, il résistait à tous les scandales depuis qu'il avait pris la tête du pays, en 1994.

Cette fois, pourtant, le Cavaliere semble au bord du gouffre. Jamais il n'a paru aussi fragile. Et c'est Karima el Mahroug qui risque de provoquer la chute du magnat milliardaire.

Tout a commencé le 28 mai 2010, quand Karima el Mahroug, accusée de vol, a été arrêtée par la police de Milan. Au poste, les policiers ont constaté que l'adolescente sicilienne, âgée de 17 ans, était en fugue.

Mais «Ruby» était aussi fichée pour autre chose. Elle appartenait à un réseau de prostitution VIP qui faisait l'objet d'une enquête. Les policiers s'apprêtaient à l'emprisonner quand ils ont reçu un appel insolite. Au bout du fil, le premier ministre en personne leur a demandé de relâcher la jeune fille, sous prétexte qu'elle était la petite-fille du président égyptien, Hosni Moubarak. Sa détention risquait de provoquer un grave incident diplomatique. C'était le début de ce que les Italiens appellent désormais le «Rubygate».

Vendredi dernier, M. Berlusconi, 74 ans, a été accusé d'avoir eu des relations sexuelles avec cette prostituée mineure, un crime punissable de trois ans de prison. Ruby Rubacuori n'est pourtant qu'une fille parmi d'autres. Depuis trois jours, les médias italiens publient à pleines pages les transcriptions de conversations téléphoniques de jeunes femmes ayant participé aux orgies organisées dans les villas du premier ministre.

Ainsi, un autre mot est entré dans le vocabulaire italien: bounga-bounga.

Il s'agit d'un rituel érotique dans lequel une vingtaine de femmes nues se disputent les faveurs du Cavaliere. «Silvio m'a dit qu'il l'avait copié (du dictateur libyen Mouammar) Kadhafi. C'était un rite de son harem», confie Ruby dans l'une des conversations enregistrées par les enquêteurs milanais.

Le portrait qui se dégage de ces conversations est dévastateur pour M. Berlusconi, qui passe pour un vieil homme pathétique, obsédé par le sexe et méprisé par ces femmes qui s'échangent des conseils pour lui soutirer un maximum d'argent.

«Il n'a pas de limites. Soit t'es prête à tout, soit tu t'en vas», prévient l'une d'elles. «Cet homme est malade. C'est évident qu'il est malade», ajoute une autre.

M. Berlusconi rejette les appels croissants à sa démission. Une fois de plus, il se dit victime d'une campagne orchestrée par ses ennemis politiques. Une fois de plus, il tente de tourner l'affaire à la rigolade. «Je serais Superman si j'avais des fêtes avec 24 filles!»

Le Cavaliere et Ruby ont nié avoir couché ensemble. Dans une conversation téléphonique, la jeune femme affirme pourtant lui avoir demandé 5 millions d'euros. «Il m'a appelé et m'a dit: «Ruby, je te donnerai tout l'argent que tu veux, je te couvrirai d'or, mais l'important, c'est que tu caches tout.»»

Quand des journalistes lui ont demandé d'où elle tenait sa Ferrari et ses vêtements griffés, à Gênes, Ruby a répondu que des amis les lui avaient offerts. Ça n'incluait pas le premier ministre. «Berlusconi n'est pas mon ami.»