Les déclarations à caractère raciste sont-elles en voie de se banaliser en France? Ou s'agit-il de la perception partiale de militants alarmés par les sorties d'intellectuels et de politiciens qui prétendent désigner les problèmes réels du pays?

Le débat fait rage depuis la condamnation en février pour incitation à la haine raciale du journaliste Eric Zemmour, qui intervient sur plusieurs chaînes de radio et de télévision en plus d'écrire dans le quotidien Le Figaro.

L'affaire a débuté en mars 2010 à la suite d'une intervention du controversé chroniqueur à une émission où il était question des contrôles au faciès pratiqués par la police nationale.

«Mais pourquoi on est contrôlé 17 fois? Pourquoi? Parce que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes, c'est comme ça, c'est un fait», a-t-il déclaré. Dans une autre émission, il relève que «les employeurs ont le droit de refuser d'embaucher des Noirs et des Arabes».

Ses déclarations font bondir les organisations de lutte contre le racisme, qui portent plainte dans la foulée, ouvrant la porte à un procès très suivi.

Loin de faire marche arrière, le journaliste assure pour se défendre qu'il n'a rien d'un provocateur, qu'il dit ce qu'il pense et ce qu'il croit, fustigeant au passage la «logique inquisitoriale» de ses détracteurs.

Le tribunal conclut néanmoins qu'Eric Zemmour a dépassé les limites de la liberté d'expression par sa phrase catégorique et péremptoire sur le contrôle au faciès.

Contrer Le Pen

Alors qu'une partie de la gauche monte au créneau pour réclamer son éviction des médias où il travaille, l'aile dure de l'UMP, parti de la majorité, se porte à la défense du journaliste avant de l'inviter à un colloque où il expose ses vues sur la liberté d'expression.

Le secrétaire d'État aux Transports, Thierry Mariani, accuse la gauche «moralement discréditée de vouloir imposer un climat permanent de chasse aux sorcières contre ceux qui osent aborder les problématiques d'intégration».

Ce thème est aujourd'hui devenu récurrent dans la rhétorique de l'UMP, qui accorde aussi une large attention à la question de la place de l'islam dans l'espoir de contrer l'ascension du Front national de Marine Le Pen. Les idées de la formation d'extrême droite sont aujourd'hui appuyées par 30% des Français contre 20% il y a 10 ans.

Dans une récente lettre ouverte, le président de SOS-Racisme, Dominique Sopo, relève que la vague brune qui monte en Europe - une référence au fascisme - n'a pas de raisons d'épargner la France.

«La crise économique et le déclin relatif du continent favorisent, dit-il, un repli sur les logiques de boucs émissaires. Le mouvement est alimenté par le discours de la droite, qui flirte de plus en plus souvent avec le racisme, et le discours de la gauche teinté d'une rigidité républicaine (...) surannée.»

Le droit «d'irriter»

Le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP) se préoccupe aussi de la montée des idées du Front national. «Même les partis de la droite dite républicaine se lancent sur le terrain de la stigmatisation de l'étranger dans l'espoir de trouver un exutoire aux frustrations de la population», constate Gianfranco Fattorini, qui représente l'organisation auprès des Nations unies à Genève.

«La classe politique française traditionnelle a perdu la main dans le jeu», relève le porte-parole, qui s'inquiète du message envoyé par l'UMP par son soutien indirect à Eric Zemmour.

Le Nouvel Observateur l'accuse, en même temps qu'une poignée d'intellectuels, d'avoir agi comme un agent de notabilisation pour le Front national en réhabilitant par ses interventions publiques la droite la plus identitaire.

Outre Eric Zemmour, qui a refusé la demande d'entrevue de La Presse, l'hebdomadaire de gauche cible notamment Elisabeth Lévy, chroniqueuse de la télévision qui dirige la revue Causeur. La publication, qui revendique une grande liberté de ton et le droit d'irriter, est distribuée à quelques milliers d'exemplaires.

Dans l'éditorial du dernier numéro, Mme Lévy souligne que la France a aujourd'hui honte d'admettre qu'elle a un problème avec l'intégration des musulmans, ce qui amène certains intervenants à vouloir étouffer les débats, incluant par voix pénale.

«En poussant les hauts cris dès qu'il est question d'intégration ou d'islam, les organisations antiracistes et la gauche laissent des pans importants du réel au Front national», relève la journaliste.

«Les gens en ont marre de se faire dire que s'ils ont des problèmes, c'est parce qu'ils sont de sales petits Blancs, note Mme Lévy.