En pleine crise économique et politique, les Bosniens ne peuvent s'empêcher de se souvenir avec nostalgie de leur ancienne nation, la Yougoslavie. Cette république socialiste, qui a réuni en 1945 les «Slaves du Sud» (Slovénie, Croatie, Bosnie, Serbie, Monténégro et Macédoine) était l'oeuvre d'un homme: le maréchal Tito. Une période que beaucoup de Bosniens perçoivent aujourd'hui comme un «âge d'or».

Aller boire un verre au Café Tito, c'est faire un bond de 30 ans dans le passé. Comme si on revenait à l'époque du maréchal de la Yougoslavie. Les murs sont rouges - pour rappeler le socialisme - et des photos de lui sont accrochées un peu partout.

De nombreuses coupures de presse le montrent en train de visiter une école, d'inaugurer une usine ou de rencontrer des chefs d'État étrangers. «On voulait un endroit à la gloire de Tito, un lieu pour se souvenir de sa grandeur», explique Senad Vianji, un des trois gérants du café.

«Quand on a ouvert le café, il y a huit ans, ce sont surtout des personnes âgées qui venaient. Elles regardaient les photos, les souvenirs remontaient, et il n'était pas rare qu'elles versent une larme!»

Aujourd'hui, en revanche, la clientèle se fait plus jeune, à l'image de Lejla Dzanko. Âgée de 16 ans, elle boit un verre avec des amies, juste à côté d'un buste en bronze de Tito. «J'aime beaucoup venir ici parce que j'aurais adoré vivre à cette époque! dit la jeune fille. Je crois beaucoup au socialisme. Aujourd'hui, je serais prête à perdre certaines libertés pour trouver un emploi et avoir de meilleures conditions de vie. Et je ne suis pas la seule à penser ainsi.»

«C'était mieux avant»

Tandis que Lejla rêve d'un avenir meilleur, les plus âgés se souviennent d'un âge d'or perdu. Gospava Maleaevic, par exemple, a l'âge d'être retraitée. Sa pension ne lui permet pas de payer toutes les factures.

«Je suis obligée de continuer de travailler. Imaginez! J'ai 70 ans, et je dois me lever tous les jours à 5h du matin pour aller donner des soins à domicile! Si on m'avait dit ça du temps de Tito, je ne l'aurais jamais cru... On vivait bien mieux à cette époque. Les retraités avaient de meilleures pensions, les gens avaient un emploi, une maison...» Gospava se dit elle-même «yougostalgique», ou nostalgique de la Yougoslavie.

Jusqu'au milieu des années 80, les avancées sociales et culturelles du pays ont été indéniables. La Yougoslavie s'endettait, mais les gens avaient accès à un confort rare et envié dans les pays de l'ex-URSS. L'éducation et les soins médicaux étaient gratuits; tous avaient un emploi, il y avait des usines, on construisait des routes. La privation de liberté - politique, civile et d'expression - était le prix à payer.

Mais aujourd'hui, dans un contexte de crise politique et économique, nombreux sont ceux qui oublient cet aspect et se disent que «c'était mieux avant».

Crise politique

Ici, le chômage touche de 40 à 60% de la population et les perspectives d'avenir sont quasi nulles. Sur le plan politique, près de quatre mois après les élections législatives, le pays n'a toujours pas réussi à former un gouvernement. Pour la jeune Lejla, c'est une raison de plus de regretter Tito: «Il a su reprendre le pays en main après la Seconde Guerre mondiale et le reconstruire. Aujourd'hui, personne n'est en mesure de relever la Bosnie. Elle en aurait pourtant grandement besoin.»

Si ce sentiment de nostalgie est largement répandu dans toutes les générations, il ne se transforme que rarement en revendication politique. Les guerres et les nationalismes des années 90 sont passés par là. Même pour les yougostalgiques, le temps de l'union des Slaves du Sud est bel et bien révolu.