Des centaines de militants se massent devant le domicile d'une famille asphyxiée par les dettes et incapable de rembourser son prêt hypothécaire. Le but: empêcher les huissiers de l'expulser et de saisir le logement. C'est le nouveau type d'actions-chocs menées par les Indignés, dont les protestations secouent l'Espagne depuis le 15 mai. Ils dresseront un bilan de leur mouvement ce week-end à Madrid.

«N'avez-vous pas honte de jeter les gens à la rue?», clame une pancarte brandie par un jeune homme, t-shirt noir, barbe de trois jours et cernes creusés au fil des manifestations. Ce matin-là, les Indignés, ces jeunes Espagnols révoltés contre les banques et la classe politique, se sont donné rendez-vous devant le domicile de Maria José Del Coto, dans un quartier ouvrier de Madrid. Environ 300 personnes vont tenter d'empêcher le passage des huissiers de justice venus expulser de son logement cette femme de 53 ans sans emploi, avec deux enfants à charge, qui ne perçoit aucun revenu à l'exception de la maigre allocation de son fils handicapé.

Comme elle est incapable de rembourser son prêt hypothécaire, sa banque a le droit de saisir le rez-de-chaussée de 48 mètres carrés dans lequel elle s'entasse avec ses enfants. Mais en plus de la jeter à la rue, la banque lui réclame plus de 200 000 euros de frais supplémentaires, une dette qu'elle traînera toute sa vie. «De manière totalement injuste», déclare à La Presse Eloi Morte, porte-parole de la Plateforme des personnes affectées par l'hypothèque (PAH) créée à Madrid par les Indignés. «Nous demandons d'instaurer le système de dation en paiement qui est en vigueur dans d'autres pays, c'est-à-dire l'extinction de la dette au moment de la saisie du bien hypothéqué par la banque. Les familles n'ont pas à assumer tout le poids de la crise», poursuit le jeune militant, qui dénonce aussi les aides publiques versées aux banques qui expulsent ces familles.

300 000 familles en défaut de paiement

Dans toute l'Espagne, le mouvement anti-expulsions a mené une soixantaine de mobilisations pour sauver des propriétaires, souvent des chômeurs ou des immigrés, ayant contracté des emprunts aux conditions asphyxiantes, baptisés «hypothèques poubelles». D'après la PAH, l'endettement des foyers a pris des proportions de drame national: depuis que la crise a éclaté en 2008, 300 000 familles auraient cessé de rembourser leur crédit hypothécaire en Espagne.

Deux semaines auparavant déjà, plus de 200 Indignés avaient forcé les huissiers à faire demi-tour lorsqu'ils s'étaient présentés chez Maria José. Mais aujourd'hui, une centaine de policiers antiémeute ont été déployés dans le quartier pour empêcher les manifestants de paralyser l'action judiciaire. L'expulsion de la famille aura lieu. Une fois dans la rue, Maria José sort saluer les manifestants, massés derrière un cordon de policiers. «Ce n'est pas que je ne veux pas payer, la vérité, c'est que je suis pauvre!», lance-t-elle les mains levées, dans un geste de reconnaissance adressé à la foule.

Les paralysations d'expulsions comptent parmi les actions les plus emblématiques des Indignés. Des réunions se tiendront cette fin de semaine pour étudier les stratégies pour la poursuite de ce mouvement de rébellion pacifique lancé le 15 mai dernier à la Puerta del Sol, carrefour central de Madrid. Des cortèges d'Indignés partis de plusieurs villes d'Espagne en juin convergeront vers Madrid aujourd'hui, et une manifestation aura lieu demain soir dans les rues de la capitale.