Andreï Popov était un conscrit de l'armée russe. Il est devenu esclave dans une usine de briques. Onze ans plus tard, il a réussi à s'enfuir. Mais il n'est pas au bout de ses peines: il risque maintenant 10 ans de prison pour «désertion».

Quand Andreï Popov s'est approché de la maison familiale le 17 août dernier, sa mère ne l'a pas reconnu. En 11 ans, le visage du fils qu'elle croyait perdu à jamais avait vieilli d'au moins le double. L'homme devant elle n'avait que 28 ans, mais presque plus de dents, une peau craquelée de rides et des yeux oscillant entre la peur et le vide.

Andreï revenait d'un long voyage. Il avait mis 20 jours à parcourir les quelque 1000 km entre le Daguestan, république trouble du Caucase russe, et Erchov, son village natal dans la région de Saratov.

Depuis sa disparition en octobre 2000, peu après une permission dans sa famille, ses proches le croyaient «déserteur». C'est du moins ce que les autorités militaires leur avaient dit.

Andreï avait toutefois une autre version à leur raconter: il avait bien passé les premiers mois de son service militaire dans l'armée, à construire une maison de campagne, vraisemblablement pour un officier de haut rang (une pratique courante dans les forces russes, bien que totalement illégale). Puis, un jour, il avait été «enlevé». Durant une décennie, on l'avait forcé à travailler sans salaire dans une usine de briques du Daguestan. Il y était mal nourri, souvent battu et vivait dans un wagon avec d'autres esclaves.

Le lendemain de son retour à la maison, Andreï a cru bon d'aller porter plainte pour enlèvement au poste de police local. En fouillant dans leurs dossiers, les agents ont retrouvé l'avis de recherche qui pesait sur le «déserteur» Popov. Ils l'ont arrêté et mis en détention provisoire. Sans enregistrer sa plainte.

Six jours plus tard, après l'intervention de défenseurs des droits de la personne et un petit battage médiatique local, Andreï a été transféré vers une base militaire de Saratov. Les autorités militaires devront maintenant examiner sa version des faits.

S'il est établi que le soldat a déserté, il est passible de 10 ans de prison.

Lundi, la présidente de la section régionale de Saratov du Comité des mères de soldats, ONG qui défend les droits des conscrits depuis plus de 20 ans, s'est vu refuser un entretien avec Andreï Popov. Lidia Sviridova veut à tout prix le rencontrer avant que ne débute l'interrogatoire des enquêteurs militaires. «J'ai peur qu'[Andreï] se compromette, car il ne connaît pas ses droits», dit-elle.

Pas un cas isolé

Parmi les conscrits russes, le cas d'Andreï Popov est loin d'être isolé. En 2009 par exemple, Anton Kouznetsov avait passé cinq ans dans huit usines de briques du Daguestan avant d'être retrouvé par sa grand-mère. Il avait alors accusé les commandants de son régiment de l'avoir vendu aux usines avec d'autres soldats, en échange de matériaux de construction.

Depuis 2005, un décret du ministre de la Défense interdit formellement l'emploi de soldats à d'autres fins que militaires. Son adoption a permis de diminuer le nombre de cas d'esclavage, souligne Valentina Melnikova, secrétaire de l'Union des comités des mères de soldats. Il est toutefois difficile de déterminer combien de soldats sont victimes de ce genre de pratique, explique-t-elle.

Selon Mme Melnikova, tant que la Russie n'abandonnera pas le service militaire obligatoire et ne formera pas une armée professionnelle, le problème persistera. Tout comme celui des dedovchtchina, ces séances d'initiation brutales que réservent les anciens aux nouveaux appelés et qui font jusqu'à 1000 morts et des centaines de mutilés chaque année.