Vous trouvez que, en inversant le sens de quelques rues, le maire Luc Ferrandez a transformé le Plateau-Mont-Royal en enfer sur terre? Pourtant, des villes comme Zurich, Bordeaux, Stockholm ou Copenhague font la vie autrement plus dure aux automobilistes. Surprise: les gens en redemandent. Mais attention. Tout est dans la manière.

Depuis une vingtaine d'années, la ville de Zurich a tout fait pour dissuader ses habitants de prendre leur auto pour se rendre au centre-ville. De nouveaux feux de circulation ont poussé le long de voies de moins en moins rapides. Les conducteurs de tramway peuvent les faire virer au vert, ce qui ralentit encore la circulation.

La Ville a aussi éliminé les passages piétonniers souterrains, qui laissaient la voie libre aux autos. Elle a fait la guerre aux parkings, transformé des voies rapides en coquettes promenades et imposé une limite de 30 km/h dans les quartiers centraux. L'automobile n'y règne plus en maître sur les cyclistes et les piétons.

Dimanche, les Zurichois ont été appelés par référendum à approuver la nouvelle phase de ce virage vert. D'ici à quelques années, la limite de 30 km sera étendue à tout le centre-ville. En une décennie, la place du «char» dans les transports urbains passera de 36 à 26%.

Êtes-vous d'accord avec cet objectif? a demandé la Ville à ses habitants. La vaste majorité a répondu oui.

Comment a-t-on fait pour faire passer la pilule? Les automobilistes zurichois sont-ils masochistes au point de vouloir souffrir davantage? Pas vraiment. Le secret de Zurich, c'est que les responsables n'ont pas fait que manier le bâton pour chasser les autos. Ils avaient aussi une carotte. Le nouveau réseau de tramways figure «parmi les plus modernes de la planète», selon Walter Hook, de l'Institute for Transports and Development, à New York.

Autrement dit, de plus en plus de Zurichois ont laissé leur auto au garage pour prendre le tram. Et ils ont aimé ça.

La révolution de Bordeaux

C'est aussi un projet de tramway qui a lancé le virage vert amorcé par Bordeaux en l'an 2000. Trois lignes de tramway, totalisant 44 km, convergent aujourd'hui vers le centre-ville. Une trentaine de kilomètres seront ajoutés d'ici à quelques années.

Pendant trois ans, le centre-ville de Bordeaux a été transformé en vaste chantier qui a causé bien des grincements de dents. «C'étaient des travaux gigantesques, les gens ont râlé, mais aujourd'hui, si on demandait aux Bordelais de revenir à l'époque d'avant le tramway, il n'y en aurait pas beaucoup pour dire oui», dit Benoît Lasserre, directeur régional du quotidien Sud-Ouest.

Il faut dire que, parallèlement au tramway, la ville s'est refait une beauté. Elle a ravalé ses façades noircies et piétonnisé une grande partie de son centre-ville. Les voies rapides le long de la Garonne ont été réaménagées en promenades. La place Pey-Berland, en plein coeur du centre-ville, était autrefois tellement encombrée d'automobiles qu'il était presque impossible de la traverser à pied. Aujourd'hui, elle est le royaume des habitants et des touristes qui viennent admirer sa cathédrale.

Seuls les résidants ont encore le droit de rouler au centre de la ville.

Tout compte fait, les Bordelais sont contents des résultats. «Avant, Bordeaux était une ville assez désagréable, orientée vers la voiture, avec beaucoup de trafic et de pollution», dit Claude Mandrau, ingénieur à la Communauté urbaine de Bordeaux, qui a suivi le dossier depuis le début.

Aujourd'hui, la place de l'auto est tombée de 80 à 65%, et les gens reviennent habiter en ville: les grands boulevards périphériques sont toujours congestionnés. «Parfois, ça prend une heure pour avancer de deux kilomètres», dit Benoît Lasserre. Ce n'est pas le paradis. Mais le centre-ville s'est transformé. Et pour le mieux.

Le secret de ce succès? La Ville a écouté les râleurs. Une commission d'indemnisation a dédommagé les commerçants qui ont perdu des revenus à cause des travaux. On a multiplié les assemblées publiques pour expliquer le projet aux habitants. «L'important, c'est d'offrir un projet cohérent et logique», dit Claude Mandrau, qui n'en revient pas de voir à quel point les Bordelais ont sauté... dans le tramway, pour changer leurs habitudes. «Je croyais que ça allait prendre une génération!»

Pourtant, quand je lui raconte la minirévolution du Plateau, Claude Mandrau est sceptique: «Mais qu'est-ce qu'il a offert en échange aux automobilistes, votre maire écolo? Imaginez si tous les arrondissements faisaient la même chose que lui... Peut-être même que les émissions de gaz carboniques augmenteraient, à cause des bouchons.»

La recette du succès

Y a-t-il une recette magique pour diminuer le nombre d'autos sans faire hurler de rage? Oui, dit Florence Junca-Adenot, professeure en études urbaines à l'UQAM. «D'abord, il faut un plan cohérent qui permet de savoir où on va. Puis, il faut agir de concert avec la population. Et il faut faire adhérer les commerçants.»

«Il faut un objectif à long terme clair, soutenu par la population», renchérit Jerry Dobrovolny, directeur des transports à la Ville de Vancouver.

Dans son plan adopté en 1994, Vancouver a décidé de donner priorité aux piétons et aux cyclistes plutôt qu'aux automobilistes. Elle a accru l'offre de transports publics, transformé les places de stationnement en parkings pour vélos ou en arrêts de bus. La part de l'auto en ville a reculé pour atteindre 60% (elle est de 63,3% à Montréal). Prochaine étape: passer à moins de 50%.

Globalement, les Vancouverois sont d'accord. Mais chaque fois qu'une décision donnée touche une rue en particulier, les réactions sont fortes, reconnaît M. Dobrovolny.

«Les transports, ça rejoint les valeurs des gens. Dès qu'on y touche, des gens rationnels deviennent tout à fait irrationnels.»

Ça ne vous rappelle rien?