Pour la première fois en France, le Sénat pourrait basculer à gauche: un risque de «séisme» pour la droite au pouvoir et qui confère à ce scrutin indirect et complexe un intérêt inédit, à sept mois de l'élection présidentielle.

L'opposition de gauche espère dimanche une victoire historique lors des élections sénatoriales. Elle insufflerait une dynamique avant la présidentielle d'avril et mai 2012, tandis que la droite, qui juge «peu probable» un basculement, reconnaît qu'un changement de majorité à la Haute assemblée lui compliquerait sérieusement la tâche.

C'est la première fois que la gauche est si bien placée pour l'emporter au sein de cette vénérable institution née peu après la Révolution française, chargée avec l'Assemblée nationale d'examiner et de voter projets de loi, traités et conventions internationales.

Majoritairement masculin et âgé, le Sénat représente les petites entités rurales françaises, traditionnellement conservatrices. Ses membres sont élus suivant un mode de scrutin complexe, indirect, à la majorité ou la proportionnelle.

Avec ses succès électoraux aux derniers scrutins locaux et régionaux, la gauche a commencé à modifier le visage des Grands Électeurs -près de 72 000 élus locaux- qui sont appelés à renouveler dimanche 170 sièges sur les 348 que comptera désormais le Sénat.

«Je suis optimiste mais réaliste car ce mode de scrutin rend le combat très difficile et inégal», a déclaré à l'AFP le chef de file des sénateurs socialistes, Jean-Pierre Bel.

De son côté le président du Sénat Gérard Larcher, du parti au pouvoir UMP, affiche un optimisme sans faille, se disant «persuadé de conserver une majorité de 6 à 12 sièges» même si elle sera plus étroite.

Il reconnaît toutefois que «les conditions de préparation de l'élection présidentielle seraient singulièrement modifiées par un changement de majorité». Ce serait un «séisme», une «épreuve» pour la majorité, confie-t-il.

La Constitution assure à l'Assemblée nationale une nette prééminence, en lui donnant toujours le dernier mot sur les textes de loi. Mais le fonctionnement du Parlement serait considérablement modifié.

«Sur le plan législatif, la gauche aurait les moyens de retarder l'adoption des textes, de faire savoir haut et fort son opposition, de médiatiser ses propositions et son programme», explique le politologue Olivier Rouquan, professeur à Sciences Po.

La discussion des budgets de l'État et de la Sécurité sociale pour 2012, qui vont décliner le plan de rigueur du gouvernement, risquerait ainsi de devenir explosive.

Un président du Sénat de gauche aurait une portée symbolique et politique forte. Deuxième personnage de l'État, assurant l'intérim du président en cas d'incapacité, il serait présent au côté de Nicolas Sarkozy sur toutes les estrades, dans toutes les manifestations.

Il dispose en outre d'un important pouvoir de nomination et désigne notamment trois des neuf membres du Conseil constitutionnel.

Au-delà de la conjoncture politique, une victoire de la gauche signifierait un divorce consommé entre la droite et son ancrage traditionnel dans la France rurale.

«C'est la structuration historique de la droite autour de milliers de petites communes qui s'effondrerait et atteindrait la capacité de Nicolas Sarkozy à mobiliser», juge Christophe Borgel, secrétaire national du PS, chargé des élections.

Alors que le scrutin s'annonce serré, avec des listes dissidentes à gauche et surtout à droite, la difficulté sera de rassembler les voix de son camp au soir du scrutin, pour dégager une majorité.