C'était soir de liesse samedi à Rome, du moins en face du Pallazo Grazioli, la résidence privée de Silvio Berlusconi, qui a été prise d'assaut par plus d'un millier de Romains trop heureux que le Cavaliere lâche enfin la bride en démissionnant officiellement du gouvernement italien.

La séquence d'événements devant mener à la démission officielle de Silvio Berlusconi a été scrupuleusement observée.

Après la ratification par le Sénat, vendredi soir, du plan d'austérité qu'avait déposé en septembre dernier le gouvernement italien,  la Chambre des députés s'est aussi prononcée en faveur du programme de discipline budgétaire, samedi après-midi, avec une imposante majorité de 380 votes favorables contre seulement 26 opposants.

En soirée, à 21h30 plus précisément, Silvio Berlusconi s'est présenté au Quirinal, la résidence officielle de Giorgio Napolitano, le président de la république italienne, où il a officiellement signé sa lettre de démission à 22h07.

Plus de 300 manifestants étaient sur place pour souligner bruyamment leur immense contentement face à cette reddition totale et sans équivoque de celui qu'ils considéraient leur ennemi.

Cette meute de fêtards s'est rapidement déplacée vers l'opulente résidence de Berlusconi, Pallazo Grazioli, en attirant au passage de nouveaux jubilatoires qui ont forcé la fermeture de la Via del Plebiscito par la police.

Une fête ciblée

J'arrivais tout juste de Bologne, vers 22h, lorsque mon chauffeur de taxi qui m'a pris à la gare Termini a vivement réagi lorsque je lui ai fait la remarque que Rome était bien tranquille pour un samedi soir.

«C'est le chaos au centre. La démission de Berlusconi fait des vagues», me répond-il en me laissant devant l'édifice du Parlement, après que l'on soit passé devant la résidence de Berlusconi, totalement assourdie par un  concert incessant de klaxons.

Devant le parlement, un régisseur italien, à l'emploi d'une chaîne d'information continue d'Australie, me dit, solennellement: «C'est un moment historique, comparable à l'exécution de Mussolini, de Khadafi ou de Saddam Hussein. C'est le printemps arabe italien.»

Je comprends dès lors que la démesure émotionnelle est à portée de main.

En me rendant à pied au Pallazo Grazioli, je constate que l'enthousiasme militant grossit à chaque pas. Rendu Via del Plebiscito, je vois bien que l'événement est «historique». La rue est bloquée, la police afflue au même rythme que les fêtards.

Ces derniers sont plus d'un millier, formant une foule bon enfant qui fait sauter les bouchons de champagne, la bière coule à flots, quelques drapeaux italiens flottent au-dessus des têtes. Et les slogans.

«La mafia en dehors du gouvernement», scande joyeusement la foule. «Cochon, cochon», reprend-on unanimement, avant d'enchaîner avec «Fils de pute». «Mafioso, mafioso», revient comme un mantra.

«Je suis ici pour lui dire ce qu'il n'a jamais voulu entendre pendant 17 ans», m'explique Maura qui est venue avec sa soeur jumelle Manuela.

Soudainement, la foule entonne l'hymne national italien. Impossible de poser une question. Tout le monde chante et prononce très distinctement chaque syllabe du thème patriotique.

«On se libère. Berlusconi a été un conflit d'intérêts permanent pour la nation», confie Aldo, un salarié de la chaîne de télévision TV2.

«L'Italie va mieux se porter et mon employeur aussi. TV2 devait  concurrencer la chaîne de Berlusconi qui faisait tout en son pouvoir pour nous écraser. Toute l'Italie va mieux respirer», confesse-t-il.

Les fêtards de la Via del Plebiscito ne forment pas un groupe homogène. Des jeunes, des vieux, des ouvriers, des mieux nantis grossissent à chaque instant le party qui a pris place.

Une dame de plus de 60 ans, grosse bière à la main, me porte un toast et me dit gentiment : «No more Bunga, Bunga», en faisant référence aux fêtes privées, assaisonnées de jeunes prostituées, qu'affectionnait particulièrement Silvio Berlusconi.

«Il nous a fait honte. L'Italie en avait raz-le-bol de Berlusconi», me dit un avocat dans la cinquantaine, visiblement financièrement très à l'aise et accompagné de sa femme très distinguée. «Il fallait que je vienne», m'explique-t-il sans me donner plus de raisons.

Mais cette fête était circonscrite Via del Plebiscito. Dès que l'on quitte l'endroit, Rome redevient la Rome chaotique habituelle. Personne ne célèbre, il n'y a pas de débordement. C'est la vie habituelle, imparfaite mais sans coupable.

Sauf qu'au  moment d'écrire ces lignes, à 1h30 du matin, dans le quartier très romain de TrasTevere, j'entends de ma fenêtre ouverte, des gens dans un restaurant chanter très fièrement l'hymne national de l'Italie.