Il a été un voyou de ruelle en Ukraine, clochard et valet de milliardaire à New York, auteur en vogue à Paris, puis chef d'un parti néo-stalinien en Russie. Maintenant, l'écrivain et politicien controversé Édouard Limonov aspire à devenir président de la Fédération russe. Vaincre Poutine? Une mission qui semble impossible, explique notre journaliste basé à Moscou.

«Vous avez devant vous un kamikaze.» Édouard Limonov a le sens inné de la formule. Mais il a aussi l'habitude de joindre la parole aux actes.

Le héros du best-seller Limonov - qui a valu à son auteur français, Emmanuel Carrère, le prix Renaudot - a annoncé hier son intention de se «sacrifier» au nom du peuple en se présentant à une présidentielle qu'il sait perdue d'avance.

«C'est une guerre entre l'État de Poutine et nous, l'opposition et les citoyens de Russie. Et il faut que quelqu'un commande les troupes», a-t-il justifié, hier midi, devant une poignée de journalistes réunis dans le minuscule Centre de presse indépendant de Moscou.

Rien à voir avec les 11 000 délégués de Russie unie, parti au pouvoir, qui ont acclamé à la fin du mois de septembre l'annonce de la candidature du premier ministre actuel et ex-président (2000-2008) Vladimir Poutine, dont la victoire le 4 mars fait peu de doute.

Mais Limonov n'est pas du genre à se laisser démonter par une perspective de défaite assurée. Et il fait rarement les choses à moitié. La législation russe interdisant à un candidat d'être détenteur d'une deuxième citoyenneté, il entend renoncer à son passeport français, obtenu en 1987, lorsqu'il était écrivain sans-papier en exil à Paris.

Au cours des dernières années, Limonov, qui se décrit lui-même comme un «extrémiste», s'est allié aux franges les plus libérales de l'opposition russe. Mais devant les tergiversations des autres leaders qui cherchaient à présenter un candidat unique, il a décidé de faire cavalier seul.

«Ce qui est important, c'est d'être connu et acceptable pour plusieurs groupes dans la société. Puisque que je suis considéré comme l'un des plus grands écrivains russes, que je participe aux mouvements d'opposition depuis 17 ans [...], je crois avoir le droit moral de me présenter», a souligné l'intellectuel révolutionnaire de 68 ans, toujours reconnaissable à ses grosses lunettes, sa barbichette, ses cheveux gris en brosse et son veston de dandy.

L'écrivain radical, fondateur du Parti national-bolchévique (interdit en 2007 pour «extrémisme»), n'est appuyé par aucun parti enregistré. Il devra par conséquent rassembler deux millions de signatures au cours des prochaines semaines pour officialiser sa candidature.

Même s'il y arrive, la partie ne sera pas gagnée pour autant: en 2008, la commission électorale - très proche du pouvoir - a rejeté le dossier de Mikhaïl Kassianov, premier ministre de 2000 à 2004 devenu opposant, en raison d'un nombre soi-disant trop élevé de fausses signatures.

Malgré tout, Limonov refuse d'abandonner la lutte dès le départ. «Je veux aller à ce duel pour donner le plus de coups [au régime Poutine] et faire le plus de pas en avant possible. Agir à titre de détonateur de la grogne serait un grand honneur», explique celui qui a toujours rêvé d'être un jour le leader d'une révolution populaire.