C'est une victoire aux airs de défaite pour le parti de Vladimir Poutine. Après le dépouillement de 93% des bureaux de scrutin, Russie Unie n'a obtenu «que» 49,7% des voix lors des législatives d'hier. Une forte baisse par rapport aux 64,7% récoltés il y a quatre ans. Alors que le mécontentement de la population envers le régime grandit et que les fraudes sont de mieux en mieux répertoriées par l'opposition, l'hégémonie du «parti du pouvoir» s'effrite.

«Allez, venez danser et chanter avec nous!» Dans la neige et le froid de la capitale sibérienne Novossibirsk (2800 km à l'est de Moscou), un groupe de travailleuses mène le bal au Festival de la cuisine nationale du district de Kirov. L'événement communautaire, organisé par la municipalité en cette journée électorale, se tient à un jet de pierre des bureaux de vote, installés dans l'école primaire du quartier. En Russie, comme en URSS autrefois, jour d'élection, c'est jour de fête.

Sauf qu'aujourd'hui, le parti au pouvoir n'a plus la tâche aussi facile qu'autrefois. Pour séduire les électeurs, la tête de liste régionale de Russie unie, Alexander Kareline, doit se prêter au jeu. Arborant un sourire à l'occidentale peu habituel pour un politicien russe, l'ancien champion de lutte gréco-romaine danse avec le peuple et serre la pince des vendeurs de champignons, de saucissons et d'autres produits locaux.

Après huit ans de majorité parlementaire pour Russie unie, la popularité de Kareline auprès des électeurs tient toutefois plus à son passé sportif qu'à son appartenance au parti dominant.

Les résultats du vote en sont la preuve: partout au pays - ou presque - les appuis de Russie unie sont en baisse. Après répartition des sièges entre les quatre partis - parmi les sept en lice - ayant passé la barrière d'éligibilité de 7%, la formation devrait maintenir sa majorité. Mais ce sera tout juste.

Fraudes

L'opposition, de son côté, crie à la fraude électorale. Pour les communistes, arrivés deuxièmes avec 19,15% des voix selon les résultats préliminaires, «les infractions ont eu un caractère massif et systématique». La Commission électorale centrale - dont le président est un ancien député de Russie unie très proche du pouvoir - a bien relevé quelques irrégularités, mais rien qui ne pourrait remettre en question la validité du scrutin.

Il y a quatre ans, les fraudes n'auraient rien changé à la domination nette du parti au pouvoir. Cette fois, elles pourraient avoir réellement fait la différence.

Partout au pays, des observateurs de partis de l'opposition et d'ONG, des journalistes, mais aussi de simples citoyens, ont répertorié des milliers de fraudes et violations ignorées par la commission électorale.

À Saint-Pétersbourg, un candidat du parti Russie juste a été battu par la police pour s'être opposé à l'expulsion d'observateurs dans un bureau de vote, selon Itar-Tass.

Arrestations, cyberattaques

À Moscou, la directrice de Transparency International a aperçu un homme jetant plusieurs bulletins déjà remplis dans une urne avant de se sauver, rapporte le journal en ligne Gazeta.ru.

Dans le centre-ville de la capitale, une dizaine d'opposants voulant dénoncer les fraudes, dont l'auteur controversé et candidat présidentiel déclaré Édouard Limonov, ont été arrêtés pour avoir voulu se rassembler sans l'accord des autorités. Ce soir, plusieurs mouvements d'opposition devraient à nouveau se réunir, cette fois pour une manifestation autorisée.

La journée électorale a aussi été marquée par des cyberattaques contre différents sites d'information indépendants ou d'opposition. Des responsables des sites visés ont attribué ce piratage aux autorités, allégations difficiles à vérifier.

ONG harcelée

L'association Golos, un mouvement de défense des électeurs, a particulièrement été éprouvée au cours des derniers jours. Depuis que Vladimir Poutine a laissé entendre la semaine dernière que des «Judas» payés par des puissances étrangères essayeraient de faire dérailler le processus électoral, Golos, financée par des fonds occidentaux, a été la cible des autorités. La justice et les médias étatiques ont mené une vaste campagne pour discréditer l'association, alors que sa présidente recevait des appels anonymes et se faisait confisquer son ordinateur portable à l'aéroport sous prétexte que son contenu pourrait menacer la sécurité nationale.

La victoire de Russie unie hier devrait être suivie le 4 mars par celle de son candidat présidentiel, le premier ministre et ancien président (2000-2008) Vladimir Poutine. Mais le triomphe risque d'être moins éclatant que lors de sa réélection de 2004 (71,2%): entre octobre et novembre dernier, le nombre d'électeurs se disant prêts à voter pour Poutine est passé de 42 à 31%. Comme pour Russie unie, sa victoire attendue serait surtout due à l'absence de solution de rechange crédible et, en cas de résultats serrés, aux fraudes électorales.