Les grenades et les balles de Nordine Amrani, en plus de faire couler le sang, hier, ont frappé au coeur la population de Liège et de la Belgique tout entière.

Plusieurs résidants de la ville wallonne se sont rendus en soirée sur les lieux du drame, à la place Saint-Lambert, pour tenter de composer avec le choc créé par la «folie meurtrière» du tireur de 33 ans.

«Qu'une personne désespérée décide de se suicider, je peux le comprendre. Mais qu'elle ne tue pas les autres. C'est lâche, c'est lâche, c'est lâche», a déclaré à La Presse Philippe, un éducateur rencontré sur les lieux et qui connaissait un élève de 15 ans abattu lors de l'attaque.

«Perdre un élève dans un accident, ce serait déjà quelque chose. Mais le perdre en raison de la folie meurtrière d'un homme, c'est trop», a-t-il indiqué en essuyant les larmes qui coulaient le long de son visage.

«On dit toujours que des choses comme celle-là n'arriveront pas chez nous et on ne prend pas la mesure de la douleur des gens. Mais voilà que ça nous arrive. C'est terrible», a-t-il ajouté.

Carla Nzumba est aussi venue sur place pour voir de ses propres yeux la scène du drame. Et remercier le ciel du fait que son fils de 17 ans, qui attendait un autobus sur la place au moment de l'attaque, soit sain et sauf.

«Il a entendu des coups de feu et il a fui. Il m'a appelée tout de suite pour me dire qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas sur la place», a relaté la mère, qui ne comprend pas comment un tel massacre a pu survenir. «Ça fait très mal», a-t-elle ajouté.

Trois grenades, une arme automatique

Selon les témoins, le tireur vêtu d'un treillis militaire a été vu vers 12h30, juché sur une terrasse dominant une boulangerie de la place Saint-Lambert. Des journalistes et des magistrats, quittant la cour d'assises de Liège pour l'heure du midi, ont assisté à la scène.

«J'ai aperçu un homme sur une des terrasses qui surplombe de cinq mètres environ les arrêts de bus sur la place», a raconté le correspondant de l'agence Belga, Nicolas Gimenne.

«À ses pieds était déposé un sac d'où il a sorti quelque chose. Je pensais que c'était une pierre ou un autre objet anodin. Il a lancé quelque chose, à une vingtaine de mètres, sur les abribus qui ont explosé.»

Trois grenades ont ainsi été lancées, selon la police. L'homme s'est aussi servi d'un fusil automatique léger pour tirer dans la foule, créant un immense mouvement de panique sur la place, avant de se suicider.

Charlotte Renquin, 15 ans, venait de sortir de l'école après un examen. «Je suis arrivée à mon arrêt de bus quand on a entendu une grosse explosion, a-t-elle raconté. On s'est tous regardés, puis j'ai vu quelqu'un étendu par terre à côté de moi, avec du sang sur le visage. Tout le monde a commencé à être pris de panique. Il y a eu une seconde explosion, et tout le monde s'est mis à courir.»

Fuir à tout prix

Denis Prégardien, qui habite dans le secteur, sortait promener son chien lorsqu'il a croisé des survivants ensanglantés et paniqués. En s'approchant de l'artère commerciale menant à la place, il a vu des dizaines de personnes fuyant dans tous les sens.

«Les gens pensaient qu'il y avait d'autres tireurs. Ils se précipitaient dans les commerces, partout où ils pouvaient se cacher», a relaté l'homme de 58 ans, qui est retourné se réfugier dans son appartement.

Tout s'est passé très rapidement, au dire d'un policier qui surveillait hier soir l'accès à la place. «À notre arrivée, on n'a pu qu'aider les victimes... Tout était fini», a-t-il indiqué en demandant de garder l'anonymat.

«On ne peut pas être préparé à ça. C'est la première fois que l'on voit ça à Liège, en Belgique aussi, je pense», a ajouté le représentant des forces de l'ordre.

Selon le dernier bilan, deux élèves de collèges voisins de la place, une femme de 75 ans ainsi qu'un bébé de 17 mois ont été tués. Au moins 123 personnes ont été blessées, dont «5 qui lutteraient pour leur vie», selon la ministre de l'Intérieur, Joëlle Milquet.

Le tueur, un spécialiste des armes

Le bilan aurait pu être encore plus lourd: en raison du report de l'ouverture du traditionnel marché de Noël à cause du mauvais temps, la foule présente était moins nombreuse qu'elle aurait pu l'être.

L'auteur de l'attaque, soudeur de profession, était connu des services judiciaires. Il était d'ailleurs attendu hier au poste de police pour une audition. Sa camionnette a été retrouvée à proximité. La cause de sa mort n'est pas encore déterminée: il se serait donné la mort avec un revolver, ou alors aurait été atteint par l'une de ses grenades. Dans son sac, d'autres munitions ont été trouvées.

Selon les médias belges, Nordine Amrani avait été condamné en septembre 2008 par le tribunal de Liège à quatre ans et huit mois de prison ferme pour avoir détenu 9500 pièces d'armes et une dizaine d'armes complètes, ainsi que pour la culture de 2800 plants de cannabis. Il est décrit comme un «spécialiste des armes, capable de démonter, de réparer et de remonter différents modèles», selon le journal liégeois La Meuse.

«Un acte isolé»

Nordine Amrani a bénéficié d'une libération conditionnelle en octobre 2010. En conférence de presse hier, la procureure du Roi de Liège, Danièle Reynders, a précisé que le tireur n'a jamais été lié à des activités terroristes. «À aucun moment, dans les procédures judiciaires à son encontre, on n'a relevé un quelconque déséquilibre le concernant.» Il s'agit, pour la ministre Milquet, d'«un acte isolé aux conséquences dramatiques».

Le premier ministre Elio Di Rupo, récemment nommé, s'est dit scandalisé. «Il n'y a pas de mots pour exprimer cette tragédie. Nos pensées vont d'abord aux victimes innocentes de ce drame ainsi qu'à leurs familles et proches: mais aussi à toutes les personnes présentes sur les lieux et aux Liégeois et Liégeoises. Le pays tout entier partage leur peine», a-t-il souligné.

Les fusillades européennes les plus meurtrières

27 septembre 2001

Suisse: Un homme tire avec un fusil d'assaut en pleine séance de l'assemblée locale, tuant 14 membres du Parlement et du gouvernement du canton de Zoug (centre), puis se donne la mort.

26 avril 2002

Allemagne: 16 personnes, dont 12 enseignants, sont tuées par balle dans un lycée d'Erfurt (Est), par un forcené de 19 ans qui se donne la mort.

11 mars 2009

Allemagne: 15 personnes - 9 élèves et 3 enseignantes d'un collège de Winnenden, près de Stuttgart (Sud-Ouest), ainsi que 3 passants - sont abattues par un ancien élève de l'établissement. Le tireur, âgé de 17 ans, se suicide.

2 juin 2010

Grande-Bretagne: Un chauffeur de taxi tue 12 personnes et en blesse 11 avant de se suicider, lors d'une équipée meurtrière en Cumbrie (nord-ouest de l'Angleterre).

22 juillet 2011

Norvège: Après un attentat à la bombe visant le siège du gouvernement à Oslo (8 morts), 69 personnes sont tuées dans une fusillade dans l'île d'Utøya proche de la capitale, pendant l'université d'été de la jeunesse du Parti travailliste. Le tireur, extrémiste de droite, est arrêté.

13 décembre 2011

Italie: Un militant d'extrême droite tue par balle deux vendeurs ambulants sénégalais et blesse trois autres personnes sur deux marchés de Florence avant de se suicider.

-Avec la collaboration de Judith Lachapelle