Vingt ans après les faits, Jacques Chirac est rattrapé par la justice française. Il a été condamné hier à deux ans de prison avec sursis dans une affaire d'emplois fictifs.

Le tribunal correctionnel a conclu que l'ex-président avait «manqué à l'obligation de probité qui pèse sur les responsables publics» alors qu'il était maire de Paris au début des années 90.

Jacques Chirac avait alors autorisé la création d'une vingtaine de postes de chargés de mission payés par la Ville, mais qui servaient en fait à soutenir l'avancement de sa carrière politique à travers le RPR, son parti de l'époque.

Le politicien retraité de 79 ans, qui devient le premier ancien chef d'État républicain de l'histoire de France à être condamné par un tribunal, n'était pas présent à l'audience. Il avait obtenu le droit d'être représenté au procès par ses avocats en raison de problèmes de santé. L'application d'une peine avec sursis lui permettra d'éviter la prison.

L'ex-premier ministre Alain Juppé, qui était adjoint au maire à l'époque des faits, avait déjà été condamné en 2004 à 14 mois de prison avec sursis dans cette affaire.

L'ancien président avait alors échappé aux procédures en raison d'une immunité judiciaire qui a disparu lors de la passation de pouvoirs à l'actuel chef d'État, Nicolas Sarkozy, en 2007.

L'Élysée a manoeuvré pour obtenir que l'UMP, parti de la majorité, contribue avec Jacques Chirac à indemniser la Ville de Paris pour les emplois en question. L'administration s'est engagée en contrepartie à ne pas se constituer partie civile lors du procès.

Devant le tribunal, le parquet a plaidé pour la relaxe du président, arguant que les postes de chargés de mission avaient bien servi à la Ville de Paris. Le Syndicat de la magistrature avait dénoncé cette intervention comme une preuve de l'influence du pouvoir exécutif sur les procureurs.

Chirac «serein»

Les avocats de Jacques Chirac ont souligné hier que leur client avait reçu le jugement avec «sérénité» et qu'il ne fera pas appel.

Le président du groupe UMP à l'Assemblée nationale, Christian Jacob, s'est dit «affecté» par la décision. «Moi, je pense qu'on aurait pu s'éviter un procès, mais ce n'était pas le voeu de Jacques Chirac», a-t-il déclaré.

Un autre député de la droite, Jacques Le Guen, a déploré que la justice sanctionne «un homme qui a servi la France» pour des «faits anciens n'ayant plus aucun intérêt».

Le candidat socialiste à la prochaine élection présidentielle, François Hollande, s'est quant à lui félicité que la «justice soit passée» de manière à éviter que s'installe «un sentiment d'impunité» dans la classe politique.

Ses propos font écho à la déclaration lue au nom de Jacques Chirac par son avocat devant le tribunal en septembre.

Tout en réitérant son innocence, l'ex-président s'était alors félicité que «le procès donne tort aux démagogues qui soutiennent que, dans notre pays, la justice serait sévère aux faibles et complaisante aux puissants».

De son côté, l'ex-juge anticorruption et candidate des écologistes à la présidentielle française de 2012, Eva Joly, s'est félicitée que «justice soit faite». Le porte-parole du Parti socialiste Benoît Hamon a quant à lui salué une justice qui «ne distingue pas les justiciables selon qu'ils soient puissants ou pas».

L'ex-chef de l'État était absent à la lecture du jugement et n'avait assisté à aucune des audiences de son procès, du 5 au 23 septembre, excusé par un rapport médical faisant état de troubles neurologiques «sévères» et «irréversibles». Il encourait dix ans de prison et 150 000 euros (202 000 $) d'amende.

Seuls deux des neuf autres prévenus ont été relaxés: l'ancien directeur de cabinet de Jacques Chirac, Michel Roussin, et Pierre Boué, un proche des milieux sportifs.

Les sept autres ont été reconnus coupables. Une dispense de peine a été accordée à l'ex-secrétaire général du syndicat Force Ouvrière Marc Blondel, dont le chauffeur avait longtemps été payé par la ville de Paris, les autres écopant de peines comprises entre deux et quatre mois de prison avec sursis.

L'affaire avait deux volets: l'un, instruit à Paris, portait sur 21 emplois et l'autre, instruit à Nanterre (près de Paris), sur sept postes. Les emplois en cause ont été rémunérés par la mairie de Paris de 1990 à 1995.

Jacques Chirac était soupçonné d'avoir mis les deniers municipaux au service de ses ambitions électorales et des intérêts de son parti, les emplois litigieux devant servir à élargir sa sphère d'influence.

Il était à l'époque maire de Paris, président du RPR (ancêtre de l'actuel parti au pouvoir UMP) et préparait la présidentielle de 1995, qu'il a remportée après deux échecs successifs.

M. Chirac a toujours récusé les faits qui lui étaient reprochés. Il avait affirmé «n'avoir commis aucune faute pénale ou morale», dans une déclaration lue au procès par son avocat Jean Veil.

Le procès, sans son principal prévenu, avait aussi été déserté par de nombreux témoins, dont le ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, condamné en 2004 à 14 mois de prison avec sursis et un an d'inéligibilité dans un des volets de l'affaire, en tant qu'ancien adjoint au maire de Paris.

La principale victime de cette affaire, la ville de Paris, aujourd'hui dirigée par les socialistes, avait renoncé à se porter partie civile au procès, ayant été indemnisée par l'UMP et M. Chirac.

Chirac serein

Jacques Chirac a pris la nouvelle de sa condamnation dans l'affaire des emplois fictifs de la ville de Paris «avec sérénité», a affirmé jeudi l'un de ses avocats, Me Jean Veil, sans dire à ce stade si l'ancien président français ferait appel.

M. Veil, qui venait d'annoncer sa condamnation de deux ans de prison avec sursis à Jacques Chirac, a assuré sur la radio RTL qu'«il l'a pris avec sérénité».

«Il est satisfait qu'à tout le moins le tribunal reconnaisse qu'il n'y a eu aucun enrichissement personnel», a ajouté Me Veil.

Jacques Chirac «a depuis le début toujours souhaité assumer ce qui était dans le dossier», a-t-il assuré. Il «a toujours eu une colonne vertébrale très forte (...) Il a toujours dit: «si quelqu'un dans cette affaire doit être condamné, ça ne peut être que moi et pas mes collaborateurs»».

Interrogé sur l'aspect historique du jugement, l'avocat a répondu: «c'est une des choses qui me soucient le plus».

«Car évidemment, un certain nombre d'étrangers, peut-être même de Français, ne liront pas la décision en détail, et ne retiendront que la sanction de deux ans de prison avec sursis, sans comprendre que tout cela est ancien, contesté», a-t-il ajouté.

Chirac conteste mais ne fera pas appel

Jacques Chirac a annoncé qu'il ne «ferait pas appel», même si «sur le fond, il conteste catégoriquement ce jugement».

Dans un communiqué, Jacques Chirac justifie sa décision de ne pas faire appel par le fait qu'il n'avait «plus, hélas, toutes les forces nécessaires pour mener par (lui-même), face à de nouveaux juges, le combat pour la vérité».

Mais il ajoute: «Je l'affirme avec honneur: aucune faute ne saurait m'être reprochée». «Sur le fond, je conteste catégoriquement ce jugement», dit-il.