La rue russe a été entendue. Après trois semaines de gronde populaire et de manifestations, le président Dmitri Medvedev a annoncé hier des réformes majeures du système politique. Des réformes qui ressemblent surtout à un retour à l'ère pré-poutinienne, explique notre collaborateur.

«J'entends ceux qui parlent de la nécessité de changements et je les comprends.» Dans son dernier discours annuel au parlement en tant que chef d'État, Dmitri Medvedev a promis la lune aux dizaines de milliers de ses concitoyens qui ont pris la rue au cours des dernières semaines pour manifester contre les résultats «frauduleux» des législatives du 4 décembre.

Au menu: retour à des élections directes pour les gouverneurs régionaux, abolies en 2004 par son prédécesseur Vladimir Poutine; simplification du processus d'enregistrement des partis politiques et des candidats présidentiels; instauration d'un système électoral mixte proportionnel/uninominal; plus de pouvoir pour les partis politiques dans la formation des commissions électorales; décentralisation du pouvoir vers les municipalités et les régions.

«Je présume que ces mesures proposées rendront le système politique plus efficace et plus représentatif des intérêts des citoyens de notre pays», a expliqué le président sortant, qui ne se présentera pas pour un deuxième mandat en mars prochain afin de permettre le retour au Kremlin de son mentor Vladimir Poutine.

Pour les Russes, le système politique proposé a des airs de déjà-vu: il est pratiquement identique à celui qui existait avant l'arrivée au pouvoir de Poutine en 2000 et l'instauration de sa «verticale du pouvoir».

«Notre société civile s'est renforcée et est devenue plus influente, l'activité civique des organisations communautaires a grandement augmenté, comme l'ont démontré les événements des dernières semaines», a justifié Medvedev, sans jamais se référer directement aux récentes manifestations «pour des élections honnêtes», dont la plus importante a réuni quelque 50 000 personnes le 10 décembre.

Théorie du complot

Jonglant comme Poutine avec la théorie d'un complot américain visant à déstabiliser la Russie, le président a fait savoir qu'il ne tolérerait pas une «ingérence étrangère» et ne «laisser[ait] pas les provocateurs et les extrémistes entraîner la société dans leurs aventures. La Russie a besoin de démocratie et non de chaos».

Dmitri Mevdedev a également suggéré la création d'une télévision publique où «ni l'État, ni un propriétaire privé ne devrait avoir d'influence dans la prise de décisions.» Actuellement, les chaînes étatiques sont étroitement contrôlées par le Kremlin et défendent les intérêts des dirigeants en place.

Dès la fin du discours de Medvedev, le premier ministre Vladimir Poutine a donné une semaine à son gouvernement pour mettre en branle ces réformes.

Sergueï Narychkine, nouveau président de la Douma et chef de l'administration présidentielle jusqu'à la semaine dernière, a nié que ces changements avaient été formulées en vitesse pour répondre à la grogne populaire. «Certains diront que les propositions sont apparues sous l'impulsion de la place Bolotnaïa (où a eu lieu la manifestation du 10 décembre NDLR). Une partie d'entre elles avaient été discutées bien avant», a-t-il assuré.

«Il est clair que le président a entendu les demandes de la place Bolotnaïa et de la société et qu'il a fait un pas vers eux», a commenté de son côté Vladimir Ryjkov, co-chef du parti libéral Parnas, que la commission électorale a refusé d'enregistrer plus tôt cette année.»Ce sont les mesures les plus radicales depuis plusieurs années.»

Sur les réseaux sociaux -au coeur du mouvement de protestation des dernières semaines-, les réactions face à l'ampleur des réformes annoncées oscillaient entre l'étonnement et le scepticisme.

«Medvedev devrait prononcer ce discours sur l'avenue Sakharov le 24 décembre!» a écrit le blogueur et photographe Ilia Varlamov sur Twitter, en référence à la prochaine grande manifestation prévue ce samedi.

Moins optimiste, un utilisateur de Facebook a qualifié Medvedev de «canard boiteux», puisqu'en revenant au Kremlin en mars, Vladimir Poutine pourra ignorer toutes ces réformes proposées. «Tout ce que (Medvedev) dit n'a désormais plus aucune importance.»

Les cinq travaux de medvedev

> Retour à l'élection des gouverneurs régionaux, dont celle du maire de Moscou.

> Instauration d'un système électoral mixte pour remplacer l'actuel, proportionnel.

> Simplification de l'enregistrement des partis politiques, présentement presque impossible.

> Décentralisation du pouvoir vers les régions et les municipalités.

> Création d'une télévision publique indépendante du pouvoir.