Il y a 20 ans, presque jour pour jour, l'Union soviétique cessait d'exister. Avant cette date historique, pendant deux ans, les Soviétiques sortaient couramment dans les rues pour réclamer de la nourriture, des libertés et du savon. Aujourd'hui, les Russes manifestent de nouveau par dizaines de milliers. Mais cette fois, la relative stabilité économique du pays joue en faveur du régime.

Par un beau jour de juillet 1989, Vladimir Taminen s'est présenté pour son quart de travail habituel à la mine de charbon de Mejdouretchensk, en Sibérie. Mais ce matin-là, au lieu de descendre dans les entrailles de la Terre, il s'est plutôt dirigé vers la place centrale de la ville avec des milliers d'autres mineurs en colère contre les autorités soviétiques.

Leurs exigences premières: de la nourriture pour leurs familles, quelques congés supplémentaires et... du savon pour se débarbouiller le visage après le travail.

«La situation était intenable. Nous avions de l'argent, mais il n'y avait rien à acheter dans les magasins. Nous n'avions plus rien à perdre», raconte M. Taminen.

En deux jours, tous les mineurs du bassin houiller du Kouzbass avaient déclaré la grève, suivis par d'autres aux quatre coins du pays. À Moscou, l'intelligentsia, les nationalistes et de plus en plus de simples citoyens manifestaient déjà régulièrement. Les ouvriers affamés - ceux-là mêmes pour qui avait été instaurée la «dictature du prolétariat» 70 ans plus tôt - faisaient front commun avec les anticommunistes.

Deux ans plus tard, le 25 décembre 1991, le président Mikhaïl Gorbatchev démissionnait. Le régime s'effondrait et, avec lui, l'Union soviétique.

Cet après-midi, au moins 50 000 personnes (selon Facebook) devraient se rassembler sur l'avenue Sakharov de Moscou. La raison de leur colère: les nombreuses fraudes électorales recensées par les observateurs indépendants lors des législatives du 4 décembre, remportées par le parti de Vladimir Poutine, Russie unie, mais ignorées par les autorités.

Ces deux mouvements à deux décennies d'intervalle sont-ils comparables? La rue viendra-t-elle à bout du régime poutinien? La politologue Maria Lipman, qui était de toutes les manifestations moscovites au tournant des années 90, en doute.

«À l'époque, nous agissions en réponse aux actions de Gorbatchev», explique-t-elle, en référence aux politiques de perestroïka (reconstruction) et glasnost (transparence) lancées par le président soviétique.

«Il y avait une scission au sommet de l'élite politique, et c'est Gorbatchev lui-même qui avait donné le coup de l'intérieur.» La société civile a su profiter de l'affaiblissement du pouvoir central pour le pousser à l'écouter.

«Un mouvement de hipsters»

Aujourd'hui, le régime du premier ministre Vladimir Poutine - qui devrait revenir à la présidence en mars prochain - ne laisse paraître aucun signe de dissension interne. Les manifestants auront donc de la difficulté à trouver des appuis dans les arcanes du pouvoir, croit Mme Lipman.

Autre différence: le mouvement d'aujourd'hui reste pour l'instant confiné à la jeunesse urbaine, branchée sur l'internet. «C'est un mouvement de hipsters», souligne la chercheuse du Centre Carnegie.

En effet, à Mejdouretchensk, c'est le calme plat ces jours-ci.

Vladimir Taminen se désole de l'apathie de ses collègues mineurs. «Ils disent tous: «Mais si nous faisons à nouveau la grève, comment allons-nous faire vivre notre famille? «»

«Ils ne prennent pas la rue parce que maintenant, ils ont du savon», ajoute Macha Lipman. Selon elle, Vladimir Poutine a bien su profiter de la manne pétrolière des années 2000 pour «s'assurer que personne ne manifesterait parce qu'il a faim, n'a pas d'emploi ou n'a pas été payé depuis des mois».

Après la grande manifestation d'aujourd'hui, le mouvement populaire devrait ainsi s'apaiser jusqu'à la présidentielle de mars. Ce qui ne veut pas dire pour autant un retour au statu quo, précise Macha Lipman.

«Poutine ne sera plus jamais tranquille.» Et si jamais le prix du baril de pétrole chute, les «hipsters» ne seront peut-être plus seuls dans les rues...