Plusieurs centaines de milliers d'Ukrainiens pro-européens ont réclamé dimanche à Kiev le départ du président Viktor Ianoukovitch, dans une nouvelle démonstration de force suivie de la chute très symbolique d'une statue de Lénine.

Drapeaux ukrainiens et européens en main, entre 250 000 et 300 000 manifestants ont investi la place de l'Indépendance et les rues voisines, scandant «démission!», selon des journalistes de l'AFP.

Les organisateurs ont affirmé que le nombre de manifestants avait «approché un million», tandis que la police a évalué le rassemblement à 100 000 personnes.

Dans un message lu par sa fille aux manifestants, l'opposante emprisonnée Ioulia Timochenko a demandé le départ «immédiat» de Ianoukovitch et a appelé l'opposition à ne pas négocier «avec ce pouvoir qui a le sang sur les mains».

L'opposition, mobilisée depuis le refus du pouvoir de signer un accord d'association avec l'UE, a ainsi confirmé la mobilisation de la semaine précédente, la plus forte dans le pays depuis la Révolution orange qui avait porté au pouvoir les forces pro-occidentales et qui avait déjà pour centre la même place, aussi appelée Maïdan.

Scènes de joie

Dans un acte de défi envers Moscou, une trentaine de manifestants a renversé une statue du leader de la révolution de 1917 Vladimir Lénine située également dans le centre et servant de point de rassemblement aux communistes locaux.

Le monument de plus de trois mètres a été remplacé par un drapeau ukrainien après sa chute la tête la première, après avoir été tiré pendant dix minutes par ses assaillants, masqués.

Plusieurs membres du parti ultra-nationaliste Svoboda (Liberté), qui voient dans Lénine un symbole de la soumission de l'Ukraine à Moscou sous l'URSS, se sont félicités de l'événement, qui a été suivi de scènes de joie.

«Après la chute de Lénine à Kiev, le régime de Ianoukovitch va aussi chuter», a prédit le député Igor Mirochnitchenko.

Les manifestants, forts de leur mobilisation, comptent continuer à mettre la pression sur le pouvoir et appelle à manifester de nouveau lundi. Ils ont installé des barricades dans le quartier abritant les grandes administrations, afin de bloquer les accès au siège du gouvernement.

Lundi sera «déterminant»

«Il crucial de rassembler assez de monde lundi pour bloquer les bâtiments des autorités actuelles», a expliqué le leader du parti nationaliste Svoboda, Oleg Tyagnybok.

Un autre leader de l'opposition, Arseni Iatseniouk, a prévenu que «la nuit à venir et demain (lundi) seront déterminants».

L'opposition menace aussi de bloquer la résidence du président en banlieue de la capitale faute de changement de gouvernement.

Face à ces marques de fermeté, les services spéciaux ukrainiens (SBU) ont cependant annoncé l'ouverture d'une enquête pour tentative de «prise de pouvoir» suite «aux agissements illégaux de certains hommes politiques» non désignés. De tels actes sont passibles d'une peine allant jusqu'à dix ans de prison.

Près de 20 000 opposants au pouvoir se sont par ailleurs rassemblés à Lviv, dans l'ouest du pays traditionnellement pro-européen, tandis que des rassemblements plus modestes ont eu lieu dans plusieurs villes de l'est, économiquement et culturellement plus proche de la Russie.

«Nous voulons que la justice règne pour tout le monde et que le pouvoir cesse de voler», a expliqué à l'AFP Viktor Melnitchouk, un retraité de 52 ans, dans la capitale ukrainienne.

Fabius va recevoir Klitschko

La mobilisation s'est considérablement renforcée depuis la dispersion violente d'un campement d'étudiants, qui a fait des dizaines de blessés. Le lendemain, le 1er décembre, une manifestation monstre réunissant entre 200 000 et 500 000 personnes et émaillée d'affrontements faisant plusieurs dizaines de blessés s'était déroulée sur Maïdan.

La crise qui agite l'ex-république soviétique de 46 millions d'habitants est encore montée d'un cran après la visite vendredi du président Viktor Ianoukovitch en Russie où il a discuté avec son homologue Vladimir Poutine de «partenariat stratégique».

La Russie a été accusée par les Européens d'avoir exercé des pressions économiques et des menaces «inacceptables» sur l'Ukraine, qui traverse une crise économique et financière, pour qu'elle renonce à l'association avec l'UE.

La Commission européenne a annoncé une visite à Kiev dans la semaine de la chef de la diplomatie européenne, Catherine Ashton.

Le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a indiqué de son côté qu'il recevrait à Paris l'un des leaders de l'opposition, le champion de boxe Vitali Klitschko. Ce dernier a appelé dimanche à une grève générale visant à «faire tomber le pouvoir»

La crise en Ukraine

KIEV - Voici quelques repères pour suivre les événements à Kiev.

POURQUOI CES MANIFESTATIONS?

Le pouvoir ukrainien a soudainement suspendu fin novembre la signature d'un accord d'association avec l'Union européenne, en préparation depuis des mois, pour se tourner vers la Russie. Cette volte-face a provoqué les manifestations de l'opposition et une mobilisation sans précédent depuis la Révolution orange pro-occidentale de 2004.

Le président Viktor Ianoukovitch a expliqué qu'il ne pouvait pas signer en raison de la situation économique difficile de l'Ukraine, mais son premier ministre a reconnu que la Russie avait fait pression sur Kiev.

Le choix pro-russe du président Ianoukovitch renvoie une nouvelle fois l'Ukraine à l'opposition entre l'ouest du pays, pro-européen et l'est, russophone et russophile.

La signature de cet accord était par ailleurs suspendue à une exigence de l'UE que M. Ianoukovitch a ignorée jusqu'à présent: la libération de l'opposante et ancien premier ministre Ioulia Timochenko emprisonnée pour «abus de pouvoir».

QUE VEUT L'OPPOSITION?

Au départ, l'opposition exigeait la signature de l'accord d'association et la libération de Mme Timochenko.

Mais le refus de signer l'accord avec l'UE, les violences policières contre des manifestants et la visite vendredi du président Viktor Ianoukovitch en Russie pour discuter avec son homologue Vladimir Poutine de «partenariat stratégique» ont fait monter la tension d'un cran: l'opposition exige désormais le départ immédiat du président, accusé de «vendre» l'Ukraine à la Russie.

L'opposition réclame également la démission du gouvernement, même si une motion de défiance à son encontre a échoué au parlement.

Les opposants, qui manifestent depuis environ deux semaines sur la place de l'Indépendance en plein centre de la capitale ukrainienne et occupent la mairie de Kiev, promettent d'élargir l'ampleur de leurs manifestations sur tout le quartier où sont situés les bâtiments gouvernementaux.

Ils appellent à l'organisation d'élections anticipées et exigent la punition des responsables des violences policières contre les manifestants.

Si la Révolution orange pro-occidentale de 2004 avait été exemplaire, du côté des manifestants comme de la part des forces de l'ordre, les manifestations à Kiev fin novembre ont été marquées par des affrontements violents entre la police et certains manifestants.

LA POSITION DE LA RUSSIE

Moscou voit d'un très mauvais oeil Kiev se rapprocher de l'Union européenne: la Russie souhaite maintenir l'Ukraine dans son orbite, notamment en la faisant adhérer à une Union douanière qu'elle anime, ce qui est incompatible avec l'association avec l'UE.

Le président Vladimir Poutine, qui a joué un rôle décisif pour dissuader Kiev de signer l'accord avec l'UE, a fustigé les manifestations en Ukraine, «préparées de l'extérieur» et qui «ressemblent plus à un pogrom qu'à une révolution».

Pour sa part, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a dénoncé l'«hystérie» de l'Occident qui ne cesse d'accuser Moscou de pressions sur l'Ukraine.

Entre temps, Vladimir Poutine a envoyé un message clair à l'Ukraine en montrant les avantages immédiats que Moscou pouvait consentir à ceux qui reviennent dans le giron de la Russie: il a annoncé récemment une réduction de 30 % du prix du gaz russe à l'Arménie, pays qui a décidé en septembre de se joindre à l'Union douanière.

LA POSITION DE L'UE

L'UE, qui se bornait au début à appeler les autorités et l'opposition au calme et à la retenue, en se disant prête à poursuivre les négociations avec l'Ukraine sur l'accord d'association, a haussé le ton face à la crise ukrainienne.

Le chef de la diplomatie allemande, Guido Westerwelle, a ainsi dénoncé des pressions «inacceptables» sur l'Ukraine et s'est rendu cette semaine à Kiev pour apporter son soutien à l'opposition, tout comme une mission de députés du Parlement européen.

De son côté, le chef de la diplomatie française Laurent Fabius a annoncé qu'il recevrait officiellement mercredi à Paris l'un des leaders de l'opposition ukrainienne, le champion de boxe Vitali Klitschko.

QUE FAIT LE POUVOIR A KIEV?

Le premier ministre ukrainien Mykola Azarov a dénoncé un «coup d'État» en cours fomenté par l'opposition et qualifié de «mensonges et provocations» les affirmations des opposants, selon lesquelles le président ukrainien envisage de signer à la mi-décembre un accord avec Moscou sur l'adhésion de l'Ukraine à l'Union douanière.

Le président Ianoukovitch a de son côté affirmé que l'intégration européenne était toujours à l'ordre du jour et que les négociations avec Bruxelles se poursuivraient, mais il a posé de nouvelles conditions à l'UE.