(Lille) La France a exprimé jeudi l’espoir de faire avancer l’épineuse réforme de la politique migratoire de l’UE, en misant sur le renforcement des frontières extérieures et une « solidarité obligatoire » entre les États membres sur la répartition des demandeurs d’asile.

À l’issue d’une réunion des ministres européens de l’Intérieur à Lille (nord de la France), la commissaire européenne aux Affaires intérieures Ylva Johansson s’est félicitée d’un nouvel « élan » dans les discussions sur le pacte européen sur la migration et l’asile, bloquées depuis près d’un an et demi.

Le ministre français de l’Intérieur Gérald Darmanin, dont le pays exerce la présidence semestrielle du Conseil de l’UE, s’est félicité d’une « unanimité » des pays membres sur la méthode « graduelle » de négociations adoptée par la France.

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Le ministre français de l’Intérieur Gérald Darmanin (devant, à gauche), dont le pays exerce la présidence semestrielle du Conseil de l’UE, s’est félicité d’une « unanimité » des pays membres sur la méthode « graduelle » de négociations adoptée par la France.

Il a aussi souligné que la proposition d’Emmanuel Macron d’un conseil de pilotage politique de Schengen, regroupant les ministres des Vingt-Sept et des quatre pays hors UE appartenant à cet espace de libre circulation, avait été endossée par tous et qu’il se réunirait le 3 mars.  

Cette instance répond à la nécessité de mieux faire face aux crises sanitaires, sécuritaires et migratoires comme celle qui a eu lieu aux frontières avec la Biélorussie en 2021.

La France mise sur un meilleur contrôle des frontières extérieures et, notamment, sur un mécanisme renforcé de filtrage, pour faire accepter aux États membres le principe d’une solidarité obligatoire avec les pays de l’UE situés géographiquement en première ligne pour les arrivées des migrants, comme l’Italie ou Malte.

« Moins de réfugiés »

L’idée est qu’avec ces contrôles il y ait « moins de pression migratoire et donc normalement moins de réfugiés à répartir parmi les pays qui seraient volontaires pour les accueillir », a expliqué Gérald Darmanin lors d’une conférence de presse à l’issue de la réunion.

Ylva Johansson avait plus tôt pointé les « graves vulnérabilités » de l’UE, déplorant qu’en 2021, « 45 000 arrivées irrégulières » n’avaient pas fait l’objet d’un enregistrement dans le système Eurodac, base de données contenant les empreintes digitales des demandeurs d’asile et migrants.  

La « solidarité obligatoire » passe par des relocalisations, c’est-à-dire le transfert de demandeurs d’asile depuis les pays de première arrivée dans l’UE vers d’autres pays du bloc.

Soutien financier

À défaut, elle doit se faire par « un soutien financier très important » pour les pays en première ligne ou ceux qui accueillent des demandeurs d’asile, a estimé Gérald Darmanin, alors qu’un certain nombre de pays, dont ceux de Visegrad (Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie) refusent d’accueillir des réfugiés.

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Des migrants amenés par la Biélorussie à la frontière polonaise, le 21 décembre 2021.

La tentative de quotas obligatoires de réfugiés décidée lors de la crise migratoire de 2015 s’était soldée par un échec et la question de la répartition des demandeurs d’asile continue de diviser les Vingt-Sept.

La France va désormais devoir s’atteler à la difficile tâche de préciser ces orientations en faisant des propositions pour la réunion du 3 mars.

La ministre allemande de l’Intérieur Nancy Faeser (sociale-démocrate), a plaidé pour forger avec la France et d’autres pays une « coalition des bonnes volontés » pour ces relocalisations.  

« Alliance de la raison »

Interrogée sur les partenaires possibles, Mme Faeser a déclaré qu’Emmanuel Macron avait parlé de douze pays européens prêts à accueillir des réfugiés. Ce chiffre est probablement « très optimiste », a-t-elle commenté.

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Des migrants se rassemblent entre le poste-frontière de Pazarkule, à Edirne, en Turquie, et le poste-frontière de Kastanies, à Évros, alors qu’ils tentent d’entrer en Europe, via la Grèce.

« Nous pensons qu’une majorité de pays européens pourra faire ce choix-là », a indiqué Gérald Darmanin, sans donner de chiffre.

Une telle coalition ne peut fonctionner que si elle regroupe « un nombre assez élevé » de pays, au-delà de l’Allemagne, la France, le Portugal, le Luxembourg, la Finlande, l’Irlande, a averti le ministre luxembourgeois Jean Asselborn.  

« On ne peut pas laisser certains pays faire leur devoir pour l’UE […] pendant que les autres regardent ailleurs », a lancé le responsable, qui a toutefois estimé qu’il y avait une « ambiance moins négative » dans les discussions.

Face à la « coalition des bonnes volontés », le ministre autrichien de l’Intérieur Gerhard Karner a opposé une « alliance de la raison » hostile à accueillir plus de réfugiés. Soulignant l’importance de mieux protéger les frontières extérieures, il a rappelé la demande faite à l’UE par 16 pays, dont le sien, de financer des clôtures et murs, qui jusqu’à présent s’est heurtée à un refus de la Commission.