(Moscou) La Russie a éliminé deux groupes de « saboteurs » ukrainiens et capturé un soldat ukrainien, a affirmé lundi le chef des services de renseignement russes lors d’une réunion avec Vladimir Poutine. De son côté, Washington affirme que Moscou prépare une « liste d’Ukrainiens à tuer » durant la brutale répression qui suivrait une invasion russe.

« Cette nuit, deux groupes de saboteurs de l’armée ukrainienne se sont rendus à la frontière russe […] Suite à des affrontements, ces deux groupes de saboteurs ont été détruits. L’un des militaires ukrainiens a été capturé », a déclaré le patron du Renseignement russe (FSB) Alexandre Bortnikov lors d’une réunion du Conseil de sécurité.

L’armée russe, citée par les agences de presse, avait au préalable ce matin indiqué que « cinq personnes appartenant à un groupe de saboteurs et de renseignement ayant violé la frontière de la Russie ont été éliminées ». Elle avait assuré aussi que des véhicules de l’armée ukrainienne avaient pénétré en territoire russe pour évacuer leurs hommes.

Démenti ukrainien

Le ministère ukrainien de l’Intérieur a démenti l’incident, assurant qu’aucun soldat n’avait franchi la frontière ni n’avait été tué.

Les affirmations russes, invérifiables de source indépendante, interviennent au moment où Kiev et les Occidentaux accusent Moscou de chercher un prétexte — quitte à la mettre en scène — pour justifier une intervention armée.

Selon les Occidentaux, Moscou a positionné environ 150 000 militaires aux frontières de l’Ukraine, tant en Russie qu’en Biélorussie.

Peu avant, le Kremlin avait douché les espoirs d’un sommet des présidents américain Joe Biden et russe Vladimir Poutine pour tenter de trouver une issue diplomatique à la pire crise entre Moscou et l’Occident depuis la Guerre froide, qualifiant de « prématurée » l’idée d’une telle rencontre annoncée par Paris.

« Écraser » le peuple ukrainien

Une invasion de la Russie chercherait à « écraser » violemment le peuple ukrainien d’après les renseignements américains, a de son côté accusé le conseiller à la sécurité nationale de la Maison-Blanche, Jake Sullivan.

Si la Russie envahit l’Ukraine, « ce sera une guerre menée contre le peuple ukrainien pour les réprimer, les écraser, les blesser », a souligné le haut responsable sur NBC.

Une opération militaire russe serait ainsi « particulièrement brutale », et « coûterait la vie à des Ukrainiens et des Russes, qu’ils soient civils ou militaires », a ajouté M. Sullivan.

Les États-Unis ont déjà averti l’ONU de l’existence, selon eux, d’une liste noire établie par Moscou d’Ukrainiens à éliminer en cas d’invasion, selon une lettre officielle consultée dimanche par l’AFP.

Washington dispose « d’informations crédibles indiquant que les forces russes établissent des listes d’Ukrainiens à tuer ou à envoyer dans des camps en cas d’occupation militaire » de l’Ukraine, dit cette lettre adressée à la Haute-Commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, Michelle Bachelet.

Une diplomate américaine prévient dans ce courrier qu’une invasion russe de l’Ukraine pourrait entraîner des abus tels que des enlèvements ou des actes de torture, et pourrait cibler des dissidents politiques.

Moscou dément de son côté tout projet d’attaque, mais demande des garanties sur le fait que l’Ukraine ne rejoindra jamais l’OTAN et que les puissances occidentales retirent leurs forces d’Europe de l’Est, ce que les États-Unis et leurs alliés refusent.

Les tensions, qui n’ont cessé de croître ces derniers mois, se sont embrasées depuis trois jours avec la multiplication de heurts dans l’est de l’Ukraine, où les forces de Kiev et des séparatistes pro-Moscou s’affrontent depuis 2014. Ces derniers ont appelé lundi M. Poutine à reconnaître leur indépendance et à mettre en place une « coopération en matière de défense ».

Poutine tient conseil

Signe des efforts européens pour éviter une guerre, le président français Emmanuel Macron a eu deux entretiens téléphoniques dimanche soir avec M. Poutine, et un autre avec M. Biden.

Le chancelier allemand Olaf Scholz devait lui aussi s’entretenir au téléphone avec le maître du Kremlin lundi.

Malgré la réticence affichée par le Kremlin, un sommet entre les dirigeants russe et américain « est possible », a estimé lundi la présidence française, exhortant Moscou à « faire son choix ».

M. Poutine a dit à M. Macron dimanche qu’il n’était « pas contre les sommets », mais qu’il fallait auparavant « comprendre ce qui en résulterait », a déclaré le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov, dont une rencontre avec son homologue américain Antony Blinken est prévue pour jeudi.

Ajoutant aux tensions, Moscou a affirmé lundi qu’un tir d’artillerie en provenance d’Ukraine avait détruit une dépendance d’un poste-frontière russe dans la région de Rostov. Kiev a catégoriquement démenti cette allégation et accusé la Russie de « produire de fausses informations » pour justifier une agression militaire.

Les regards sont désormais braqués sur une réunion à Moscou du Conseil de sécurité, qui regroupe les principaux responsables militaires et des services de renseignement, que M. Poutine devait présider lundi.

« La guerre, la vraie »

Sur le terrain, dans l’est de l’Ukraine, les affrontements se poursuivaient lundi, Kiev faisant état de 14 bombardements des rebelles prorusses, dans lesquels un soldat a été blessé.

Un civil a aussi été tué par un bombardement des séparatistes, a annoncé lundi le gouverneur régional.

La victime, un homme né en 1970, a été tuée dans le village de Novolouganské, à une trentaine de kilomètres du bastion rebelle de Donetsk, a précisé sur Facebook le gouverneur Pavlo Kyrylenko.

Le bombardement a aussi provoqué une coupure de l’électricité et du chauffage et endommagé une conduite de gaz dans le village, selon la même source.

Les séparatistes accusent Kiev de préparer une offensive généralisée et ont décrété une mobilisation générale, alors que l’armée ukrainienne dit rester sur ses positions.

Les rebelles ont fait état de trois civils morts dans des bombardements ces dernières 24 heures, ainsi que de l’explosion d’un dépôt de munitions dans la région de Novoazovsk, accusant des « saboteurs ukrainiens » d’en avoir été responsables.

Toujours selon eux, 21 000 personnes sont privées d’eau à cause de bombardements ukrainiens.

Ces assertions n’ont pas pu être vérifiées de manière indépendante et les Occidentaux soutiennent qu’elles font partie d’un scénario russe visant à tenter de justifier une intervention, Moscou n’ayant cessé de mettre en garde contre le « génocide » que Kiev serait en train d’orchestrer.

La Russie a assuré lundi qu’au moins 61 000 personnes avaient été « évacuées » des zones séparatistes vers son territoire.

« C’est la guerre, la vraie », estime Tatiana Nikoulina, 64 ans, qui fait partie de ces personnes acheminées de la région de Donetsk vers la ville russe de Taganrog. Depuis le début du conflit en 2014, « ils n’ont pas pu trouver de compromis et c’est pourquoi tout cela continue ».

Non loin, Svetlana, 58 ans, se dit « très fatiguée », mais espère qu’elle pourra « rentrer à la maison ».

La Bourse dévisse

Moscou et Kiev s’accusent d’être responsables de cette flambée de violences dans un conflit qui a fait plus de 14 000 morts depuis son déclenchement en 2014, dans la foulée de l’annexion de la péninsule ukrainienne de Crimée par la Russie.

Les Russes se défendent de tout projet d’invasion de l’Ukraine, mais ne donnent pas les raisons du déploiement de dizaines de milliers d’hommes, appuyés par des chars et autres lance-missiles.  

Le Kremlin réclame en revanche la fin de la politique d’élargissement de l’OTAN et son retrait d’Europe de l’Est, des demandes rejetées par les Occidentaux.

Ces derniers ont menacé Moscou de sanctions dévastatrices en cas d’offensive contre l’Ukraine, des menaces balayées par la Russie.

Signe toutefois de l’inquiétude des marchés, les indices boursiers russes ont chuté d’environ 10 % lundi après-midi.