La Russie pourrait accentuer ses attaques contre des cibles civiles, faute d’avancées significatives sur le front militaire, tandis que l’Ukraine refuse tout ultimatum.

Les troupes russes n’ont effectué aucun progrès significatif en Ukraine, lundi, malgré des bombardements importants sur plusieurs grandes villes, suscitant la crainte que l’offensive de Moscou prenne un tournant encore plus sanglant.

« Les forces russes positionnées au nord-ouest et au nord-est de Kyiv continuent de bombarder la ville et de renforcer leurs positions défensives, mais n’ont mené aucune offensive importante », a observé au 26e jour du conflit l’Institut de recherche sur la guerre (Institute for Study of War, ISW), établi à Washington.

Le puissant bombardement dans la nuit de dimanche à lundi d’un centre commercial du nord-ouest de la capitale a fait huit morts, selon les autorités ukrainiennes, et endommagé une dizaine d’immeubles voisins.

PHOTO MAX PSHYBYSHEVSKY, ASSOCIATED PRESS

Immeuble de logements d’Odessa, dans le sud de l’Ukraine

L’armée russe affirme que des armes et des munitions étaient entreposées dans le centre commercial.

Un nouveau couvre-feu a été imposé jusqu’à mercredi matin à Kyiv, et le maire Vitali Klitschko a appelé les habitants à porter des masques et à ne pas ouvrir les fenêtres pour se protéger de la fumée des incendies causés par les bombardements.

« Très violente et sanglante »

À l’exception de Marioupol, où les troupes russes ont continué le pilonnage de la ville assiégée, qualifié de « crime de guerre majeur » par l’Union européenne, l’envahisseur n’a pas marqué d’avancées autour des autres grandes villes ukrainiennes, étant notamment aux prises avec des problèmes de logistique.

Cette absence de progrès conduit la Russie dans une « impasse » qui pourrait être « très violente et sanglante », alertait dimanche l’ISW.

Ni armistice ni cessez-le-feu, l’impasse est une situation dans laquelle chaque partie mène des offensives qui ne changent pas fondamentalement le cours du conflit, mais qui font énormément de victimes, rappelait l’ISW, citant en exemple les batailles de la Somme et de Verdun, durant la Première Guerre mondiale – lors desquelles des dizaines de milliers de soldats canadiens ont été tués.

Le conflit risque l’« enlisement », estime également Pierre Jolicœur, professeur au Collège militaire royal du Canada, à Kingston, spécialiste de l’ex-URSS, qui observe que les troupes russes semblent depuis quelques jours cibler davantage les villes « pour terroriser la population et faire plier la résistance des Ukrainiens ».

La stratégie donne cependant le résultat inverse, constate-t-il, craignant une spirale sanglante.

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Militaire ukrainien dans les rues de Kyiv

Plus les autorités russes bombardent les cibles civiles, plus on a l’impression que ça raffermit la volonté de résistance [des Ukrainiens].

Pierre Jolicœur, professeur au Collège militaire royal du Canada

L’Ukraine n’acceptera « aucun ultimatum de la Russie », a déclaré lundi le président Volodymyr Zelensky dans un entretien avec un média public régional. Il s’est cependant dit prêt à discuter avec son homologue russe d’un « compromis » sur le Donbass et la Crimée pour « arrêter la guerre ».

Tout « compromis » avec Moscou au sujet de ces territoires ou visant à mettre fin à son offensive militaire devra toutefois être approuvé par le peuple ukrainien par un référendum, a affirmé le président, cité par l’Agence France-Presse (AFP). Il a également prévenu que l’Ukraine sera « détruite » avant de se rendre.

Volodymyr Zelensky veut ainsi « alimenter la perception qu’il s’agit d’un conflit qui oppose la démocratie à un leader russe autoritaire », analyse Pierre Jolicœur. « Ce sont les forces de la démocratie contre l’autoritarisme », ajoute-t-il.

Le président Zelensky a aussi déclaré que des pays de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) – qu’il n’a pas nommés – souhaitent se porter garants de la sécurité de l’Ukraine, sans qu’elle n’intègre l’organisation.

Il s’agirait là d’un compromis acceptable pour Kyiv, qui a pris acte du fait que l’OTAN ne semble pas disposée à lui ouvrir ses portes, de peur de froisser la Russie.

Champs de mines et incursions aériennes

Les troupes russes ont entrepris l’installation de mines dans des champs autour de Kyiv, rapportait dimanche l’ISW.

PHOTO VADIM GHIRDA, ASSOCIATED PRESS

Immeuble de logements de Kyiv endommagé par les bombardements

« L’utilisation de mines se fait habituellement lorsqu’on a un conflit qui va perdurer et qu’on veut protéger des acquis territoriaux », explique Pierre Jolicœur, qui y voit un signe que les autorités russes commencent à envisager que le conflit pourrait s’éterniser.

Mais un champ de mines fera perdurer l’insécurité pour les populations bien au-delà du conflit, se désole-t-il.

Le bilan va continuer de s’alourdir, même après la guerre.

Pierre Jolicœur, professeur au Collège militaire royal du Canada

Face à la résistance ukrainienne, la Russie a accentué ses opérations navales et aériennes, effectuant notamment quelque 300 incursions dans l’espace aérien ukrainien en 24 heures, a indiqué le Pentagone, lundi.

Ces sorties sont cependant toujours brèves, a indiqué un haut responsable s’exprimant sous le couvert de l’anonymat, cité par l’AFP, expliquant que les forces ukrainiennes défendaient leur ciel « avec une grande dextérité ».

Le Pentagone s’est aussi dit incapable de confirmer que la Russie a fait usage de missiles hypersoniques, comme elle le prétend, mais a souligné que l’utilisation de telles armes à longue portée sur des cibles si rapprochées pourrait démontrer qu’elle n’a plus beaucoup de missiles de précision.

Morts, défections et conscription

La Russie aurait perdu jusqu’à maintenant 15 000 soldats, selon l’armée ukrainienne, tandis que les services de renseignement états-uniens évoquent le nombre de 7000, des chiffres qui ne peuvent être vérifiés de manière indépendante.

La thèse voulant que la Russie essuie de lourdes pertes est toutefois accréditée par des rapports faisant état de « la conscription croissante de gens âgés de 55 à 65 ans et du recrutement agressif d’étudiants de 18 ans » par Moscou, rapportait lundi l’ISW.

L’institut indiquait également en fin de semaine que les forces russes font aussi face à une augmentation des désertions et des insubordinations de soldats refusant de combattre.

« Ça n’augure rien de bon pour Vladimir Poutine s’il y a des défections importantes », affirme Pierre Jolicœur, qui croit que cette guerre pourrait finir par se retourner contre le président russe.

« Ça augure très mal pour son maintien au pouvoir à long terme. »

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    Nombre de réfugiés ukrainiens recensés en date de lundi, soit 100 600 de plus que la veille
    source : Haut Commissariat des nations unies pour les réfugiés