(Odessa) C’est ici que bat le cœur d’Odessa. Son chevalet planté au milieu de la charmante rue piétonne Deribassovskaïa, semée de chevaux de frise et bouchée par des sacs de sable, Viktor Oliïnik peint en couleurs pastel la nouvelle physionomie du joyau du sud de l’Ukraine.

À Odessa comme à Mykolaïv, à 130 km plus à l’Est, qui en barre l’accès à l’armée russe, les habitants reconnaissent difficilement leur ville, dénaturée par la guerre.

Tournant le dos à quelques-uns des sites emblématiques de la rue, comme l’ancien hôtel Bolchaïa Moskovskaïa, également surnommé la « Maison aux visages » pour les décorations de sa façade verte Art nouveau, à quelques centaines de mètres plus bas, Viktor Oliïnik s’applique pour restituer cette réalité nouvelle.

« J’ai l’habitude de peindre Odessa », explique l’artiste, à la barbe de trois jours grisonnante et coiffé d’un bonnet noir. Il apprécie la lumière et la tranquillité de la fin de l’après-midi, quelques heures avant le couvre-feu nocturne.

« Mais là je profite de cette occasion, je n’aurais jamais pu imaginer une telle scène », poursuit-il, un fagot de pinceaux à la main, désignant les obstacles et les fortifications tout au long de la rue bordée d’un élégant jardin.

« C’est ainsi que cette époque de chaos doit s’achever, pour céder la place à une époque d’équilibre », prophétise-t-il avec des accents mystiques.

Plus haut, sur la place de la cathédrale de la Transfiguration, des hommes se livrent avec passion à des parties de dominos, d’échecs ou de trictrac, imperturbables malgré de sporadiques alertes aériennes.

« Encore plus belle »

Après des semaines à collecter du sable sur une plage d’Odessa pour en remplir les sacs, les volontaires observent une pause depuis lundi, leur mission accomplie pour le moment, a indiqué l’un d’eux à l’AFP sous le couvert de l’anonymat.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Des résidants d’Odessa remplissent des sacs de sable pour ériger une barricade protégeant la ville, le 15 mars.

« D’abord nous vaincrons, puis nous nettoierons notre ville. Et elle sera encore plus belle qu’avant », assure-t-il.

Mais pour le moment « c’est vraiment douloureux » de la voir à ce point transformée, confirme un volontaire d’Odessa, Vladislav Gaïdarji, 25 ans, venu livrer de l’aide à des hôpitaux et aux troupes à Mykolaïv.

PHOTO BULENT KILIC, AGENCE FRANCE-PRESSE

Cet édifice gouvernemental de Mykolaïv a été détruit par les frappes russes.

Certains de ses amis qui ont quitté Odessa au début de la guerre « n’en croyaient pas leurs yeux » en la retrouvant un mois plus tard, raconte-t-il. « Ils étaient choqués de voir autant de rues barrées par des objets en acier pour ralentir les véhicules ».

« J’espère que très bientôt, non seulement Odessa mais toutes les villes ukrainiennes retrouveront leur beauté, sous le drapeau ukrainien », ajoute-t-il.

Si le centre de Mykolaïv, pilonnée pendant des semaines par l’armée russe, en porte peu de traces visibles à l’exception d’un tir de missile mardi qui a éventré le siège de l’administration régionale, faisant 28 morts selon un dernier bilan, la ville a également accompli sa mue.

PHOTO BULENT KILIC, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des arbres ont été coupés sur une artère du centre de Mykolaïv, le 27 mars.

Depuis plusieurs semaines, le bruit des scies électriques retentit sur les grands axes. Par centaines, de grands arbres sont abattus sur les avenues puis débités sur place.

Faute d’annonce officielle, des habitants spéculent sur les motifs de cette campagne de déboisement urbain. Une fleuriste livre les hypothèses les plus courantes : il s’agit de prévenir les allergies saisonnières, ou d’élargir les artères dans un but militaire, ou encore d’éviter que des chutes d’arbres n’arrachent les fils électriques.

Mais un employé des services de secours, Pavel Katsan, qui participe à ces coupes claires, casque de chantier sur la tête, assure en connaître la raison.

« Nous coupons ces arbres pour fournir du bois à chauffer aux hommes de la défense territoriale », rejointe depuis l’invasion russe par de nombreux volontaires civils, explique-t-il.

« Nous en abattons aussi une partie au printemps pour éviter les allergies », confirme-t-il, « mais cette année c’est particulier ».