Intérieur jour, salle des pas perdus de Sciences Po à Bordeaux. Le journaliste de La Presse interpelle des étudiants qui travaillent à une table. On est curieux de savoir ce que les jeunes Français pensent de la campagne présidentielle en cours. Ces trois-là sont passionnés par la politique. Ils sont informés. Ils ont des opinions. Détail non négligeable : ils vont aussi voter pour la toute première fois… Conversation croisée.

Vous avez 18 ans. Vous allez voter pour la première fois. Ça vous fait quoi ?

Paul Brindeau : C’est excitant. Parce que c’est important dans une vie de citoyen. Il y a toute une symbolique autour de ça.

Noémie Boespflug : On a étudié en théorie assez longtemps. En vrai, maintenant ! En sciences po, on étudie un peu tout ce qui se rapproche de ça, du coup c’est intéressant d’en faire partie, de pouvoir influencer.

Lison Blanc : J’accompagnais mes parents dans les bureaux de vote quand j’étais petite. Du coup, ça a un peu mythifié le truc. La présidentielle, c’est quand même un cran au-dessus du reste.

On dit que les jeunes ne s’intéressent pas à la politique. Pourquoi, d’après vous ?

N.B. : Beaucoup de mes amis, ceux qui s’y intéressent, c’est pour pouvoir protester. Ils ne se sentent pas écoutés et ne se reconnaissent pas dans les candidats. Il y a une crise de la représentativité. Alors ils préfèrent aller à des manifestations, trouver d’autres moyens d’expression.

P.B. : Je ne pense pas que les jeunes perdent l’intérêt pour la politique, mais ils s’y intéressent différemment. Il y a eu une mutation dans la manière dont on y accède. Avant, c’était des médias traditionnels. Aujourd’hui, c’est les réseaux sociaux.

L.B. : Oui, c’est ça. Je ne pense pas que ce soit un désintérêt de la politique. C’est plutôt un changement des moyens d’action, un ras-le-bol des traditions politiques comme elles sont ancrées depuis des générations. En plus, ce sont toujours les mêmes personnalités qui tournent. C’est plus difficile de s’identifier. Je trouve qu’il y a une distance de plus en plus grande entre les élus et les gens ordinaires. Ce sont des politiciens professionnels qui n’ont pas nécessairement conscience des réalités qui les entourent.

Pour qui allez-vous voter ? Vous savez ?

L.B. : Encore indécise, mais plutôt gauche. La socialiste ? Le communiste ? Le reste de l’échiquier politique, c’est hors de question. Avec son discours discriminant, l’extrême droite n’est certainement pas une option. Mais quand même… j’ai un peu l’impression de voter « par dépit ».

P.B. : J’irai voter pour Macron pour le projet qu’il porte. L’intégration dans l’Europe. Le projet économique. Cette volonté de développer la croissance française. Je suis sensible à tout ça.

N.B. : Macron se présente comme un président du centre, mais je le vois clairement comme quelqu’un de droite. Pas pour moi. En fait, aucun candidat ne me paraît idéal. Mais je pourrais privilégier Anne Hidalgo, qui est censée être féministe, pro-droits LGBT et sociaux. Et puis c’est une femme, même si ce n’est pas mon critère principal.

Et l’environnement ? N’est-ce pas la cause de votre génération ? Il n’y a personne à cette table qui vote vert ?

P.B. : C’est un sujet qui est très important. Il faut l’intégrer au plus vite. On voit aujourd’hui les conséquences des années d’inaction. On voit le monde qui devient de plus en plus dévasté. Il est urgent d’adapter nos modèles. Mais un programme qui porte uniquement sur l’environnement, ce n’est pas suffisant.

N.B. : Ce n’est pas parce qu’un candidat est vert que pour autant il va m’aller. Yannick Jadot [Europe Écologie Les Verts] met l’accent sur l’écologie, il pourrait m’intéresser. Mais il est trop à droite pour moi. Ça ne suffit pas d’avoir l’étiquette verte pour dire qu’il est valable.

On parle beaucoup de vote électronique en France, comme moyen de contrer le problème de l’abstention, notamment chez les jeunes. C’est quelque chose qui vous branche ?

L.B. : J’ai toujours trouvé ça excitant d’accompagner mes parents au bureau de vote. Ça ne me dérange pas de devoir me déplacer. Mais comme cette fois je ne peux pas me déplacer jusqu’à Nantes, où je suis inscrite sur les listes électorales, je vais devoir faire les démarches pour un vote par procuration. Dans ce cas précis, une dématérialisation du vote n’aurait pas été de trop [rires] !

N.B. : Voter par téléphone me paraît plus pratique et pourra peut-être inciter quelques jeunes qui ne votaient pas, par paresse. Mais j’ai peur que l’aspect anti-solennel que cela procure amène encore plus les citoyens à décrédibiliser les élections… Si on arrive à ça, il faudrait veiller à ce que l’aspect solennel soit sauvegardé !

La guerre en Ukraine percute la présidentielle de plein fouet. Ça change votre perception de la campagne ? Des candidats ? Vous en parlez dans vos cours ?

L.B. : Selon moi, il s’agit d’une situation extrêmement délicate et aucun candidat plus qu’un autre ne me paraît à même de gérer ça. Mais ce n’est pas un évènement qui affectera mon vote.

N.B. : À ma grande surprise, le sujet, récurrent dans les conversations, n’est pas tant que ça abordé en cours. On ne peut ignorer les efforts de Macron dans le dialogue. Ça change un peu ma perception de lui. Mais je suis convaincue de ne pas vouloir refaire cinq ans sous son mandat.

Vous vous informez comment, au fait ?

L.B. : Principalement sur l’internet et les réseaux sociaux. Je lis quelques articles du Monde quand je reçois les notifications. Sinon le compte HugoDécrypte. Il fait de bons et rapides résumés de l’actualité en temps réel et de façon très claire. C’est une source d’information facile d’accès pour moi.

N.B. : Pour moi, Brut est un média sur Instagram qui permet de s’informer sur des évènements ou de faire un rapide résumé d’une situation en une vidéo courte et très dynamique. Ses informations m’ont toujours semblé fiables. Sinon, les médias que j’estime relativement neutres. France Inter. Le Monde. Le site d’Amnistie internationale, parce que souvent c’est l’aspect qui m’intéresse le plus.

Climat, COVID-19, Ukraine : votre génération n’est pas très gâtée. Mais on sent malgré tout que vous y croyez encore…

P.B. : Il y a cette première impression que tout fout le camp. Mais on fait quoi ? Soit on ne fait rien, soit on est là et on essaie de trouver des solutions. C’est presque stimulant. Il faut cultiver un peu d’enthousiasme plutôt que de se morfondre. Ça nous pousse à la créativité. Innover.

N.B. : Mon premier réflexe serait de me dire qu'il n’y a personne qui nous représente et on sait qu’on va tous mourir. Mais ça ne nous empêche pas d’aller voter ! C’est très important de s’exprimer quoi qu’il arrive, sinon on ne changera jamais rien.

L.B. : Je rejoins Paul et Noémie. Si on part du principe que ça ne changera rien, ça ne changera rien. On peut avoir notre mot à dire. On peut vouloir s’exprimer par d’autres moyens d’action et d’expression. Il ne faut pas être passifs. Même si ça ne paraît pas, il y a quand même des choses à faire…