Depuis le début de la seconde phase du conflit, Lyssytchansk, dans le Donbass, est au plus près de la ligne de front. L’une des dernières poches de résistance, où des habitants vivent coupés du monde, terrés dans le sous-sol d’une école à moitié détruite. Notre collaborateur s’est rendu sur place.

(Lyssytchansk) « On veut juste que tout ça s’arrête »

Les apparences sont parfois trompeuses. Une dizaine de kilomètres avant Lyssytchansk, la route cabossée entre Artemivsk et Berestove paraît bien calme. C’est le début du printemps, il fait beau, de part et d’autre de la route, des tracteurs labourent les terres comme si de rien n’était.

« Ces gens-là prennent d’énormes risques. Mais ils ne s’arrêteront pas avant que les Russes les y obligent. S’occuper de leur terre, nourrir le pays, c’est leur guerre à eux », observe le chauffeur Olexy, un bénévole originaire de Sloviansk, qui transporte du matériel destiné aux militaires sur le front.

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Carcasses de voitures à Lyssytchansk

La route est en effet plus périlleuse qu’il n’y paraît. Quelques kilomètres plus loin, en sens inverse, un cortège d’ambulances et de voitures aux vitres explosées passe à toute vitesse. Plus loin, les restes calcinés de voitures obstruent la route. C’est tout ce qu’il reste d’un checkpoint ukrainien, pris pour cible par l’armée russe quelques jours plus tôt. Sur le chemin du retour, quelques heures plus tard, les voitures sont de nouveau en feu. « Il a été bombardé à nouveau il y a moins d’une heure », confirmera un soldat.

Depuis le début de la seconde phase du conflit, qui correspond au retrait des troupes russes de la région de Kyiv puis au recul dans la région de Kharkiv, les forces russes se sont redéployées massivement dans le Donbass, qu’elles ont transformé en « enfer », a déploré le président ukrainien Volodymyr Zelensky dans un message vidéo diffusé dans la nuit de jeudi à vendredi.

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Des enfants près d’un refuge, à Lyssytchansk

Les villes industrielles de Lyssytchansk et de Sievierodonetsk forment la dernière poche de résistance ukrainienne dans la région de Louhansk. Une étape décisive pour les Russes avant le prochain objectif militaire que pourraient constituer les villes de Sloviansk et de Kramatorsk.

« Comme avant »

Aux abords d’un ancien garage complètement détruit, quelques habitants circulent à vélo malgré les bombardements intenses dans la ville jumelle de Sievierodonetsk. Au loin, une épaisse fumée noire s’échappe de la raffinerie de pétrole de Lissytchansk, visée régulièrement par l’artillerie russe à la mi-avril.

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Il ne reste plus que de 8000 à 10 000 habitants sur les 100 000 que comptait Lyssytchansk avant la guerre.

Aujourd’hui, il ne reste plus que de 8000 à 10 000 habitants sur les 100 000 que comptait cette ville avant-guerre. Tatiana, une femme d’une cinquantaine d’années, s’approche, visiblement agitée : « J’ai écouté la radio russe aujourd’hui, c’est la seule qui passe ici. Ils disent que Toshkivka a été pris par les Russes, c’est vrai ? Vous savez si je peux rester en ville aujourd’hui ? » demande-t-elle.

On ne veut pas vivre sous occupation. Je ne veux pas que les Russes arrivent ici. Je préfère continuer de vivre sans eau, sans électricité plutôt que de les voir arriver ici.

Tatiana, résidante de Lyssytchansk

Tatiana remet à un soldat des numéros de téléphone griffonnés à la hâte sur un morceau de papier. C’est le seul moyen pour ces habitants, qui vivent coupés du monde depuis des semaines, de prévenir leurs proches qu’ils sont encore en vie. L’eau, l’électricité, l’essence sont autant de denrées devenues quasiment introuvables à Lyssytchansk.

Un peu plus loin, Vera, 53 ans, profite de l’accalmie pour prendre l’air devant son immeuble. « J’ai fait une attaque, j’aimerais seulement que les cliniques rouvrent. J’ai pensé à quitter la ville à un moment, mais je peux à peine marcher, la partie gauche de mon corps est paralysée depuis mon accident. On veut juste que tout ça s’arrête, que la situation redevienne comme avant. La paix, le calme… »

La paix, hélas, ce n’est pas pour tout de suite, si l’on en croit les soldats qui se battent aux abords de Lyssytchansk.

« La situation est difficile »

La veille, le village de Rubizhne, à une vingtaine de kilomètres, est tombé aux mains des Russes. « On n’avait plus la force de tenir la ville. On a dû se replier vers Sievierodonetsk. Le risque, c’est qu’ils continuent d’avancer et qu’ils arrivent à nous encercler », explique Roman, un officier à bout de forces, présent la veille lors de l’assaut final à Rubizhne.

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Le militaire surnommé « Spartac », au centre

« Spartac » commande un bataillon de 350 personnes. Il note une pénurie de moyens de transport, de véhicules maniables comme les camionnettes dont un grand nombre a été détruit par l’artillerie russe. « La situation est difficile en ce moment. L’ennemi bombarde avec tout ce qu’il peut. Ils attaquent depuis l’ouest, le nord et l’est. Nous défendons depuis les abords de la rivière Donets », explique-t-il.

Nous contrôlons toujours Lyssytchansk et Sievierodonetsk. Le but, c’est de ne pas laisser l’ennemi passer, de ne pas se laisser encercler. 

Spartac, commandant d’un bataillon ukrainien

D’après lui, l’armée russe perdrait une cinquantaine de combattants chaque jour sur ce front. Il se garde bien d’évoquer les pertes côté ukrainien. « L’ennemi utilise la tactique de Marioupol. Il nivelle simplement toute l’infrastructure avec de l’artillerie. Nous sommes obligés de nous replier sur de nouvelles frontières pour nous défendre. »

Terrés dans un sous-sol

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Les étages supérieurs de l’école ont été bombardés.

Quelques pâtés de maisons plus loin, le sous-sol humide d’une école abrite une centaine d’habitants de tous âges dans des conditions extrêmement précaires. Certains ont trouvé refuge ici depuis la fin du mois de mars, chassés de leur maison par les bombardements. Sans électricité ni eau courante, ils s’éclairent entre eux avec des téléphones portables ou des bougies.

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Sans électricité ni eau courante, les réfugiés s’éclairent avec des téléphones portables ou des bougies.

De fins matelas ont été installés sur des palettes de bois. Quelques brins de lilas disposés çà et là rappellent que les beaux jours reviennent. Quelques enfants jouent sur le parvis de l’établissement pendant qu’un groupe de femmes âgées discute à proximité d’un feu de bois. Les étages supérieurs, eux, ont été bombardés.

« C’est tombé le 8 mars, pendant la [Journée internationale des femmes], on n’aurait pas pu imaginer pire ! », parvient à plaisanter l’une des résidantes. « Au début, on recevait de la nourriture et de l’aide humanitaire régulièrement. Mais ces dernières semaines, les combats sont plus violents, il n’y a plus grand monde pour nous aider », constate amèrement Tatiana, 50 ans. « C’est la guerre, qu’est-ce qu’on peut y faire ? »