(Soledar) Le sol a tremblé et les oiseaux se sont dispersés quelques instants, puis Natalia Timofeïenko est sortie de son abri pour s’assurer qu’elle n’était pas seule sur le front est ukrainien.

L’explosion a détruit une partie d’une gigantesque mine de sel où cette femme de 47 ans travaillait avec la plupart de ses amis et voisins, dans sa ville natale de Soledar.

Natalia a le visage pâle et les traits fatigués des gens qui vivent la guerre proche de chez eux.

Non loin, elle retrouve deux de ses voisins à l’extérieur de la dernière épicerie toujours en activité dans la ville et bavarde avec eux tandis que de la fumée noire monte vers le ciel.

« Je sors de mon sous-sol juste pour voir des gens. Je sais que ça bombarde à côté, mais je sors quand même », dit-elle au moment où une nouvelle détonation retentit.  

« Nous avons besoin de savoir que nous ne sommes pas seuls et qu’il y a toujours de la vie par ici ».

Photo Andriy Andriyenko, Associated Press

Une Ukrainienne se cache dans un sous-sol utilisé en guise d'abris à Soledar, dans la région du Donetsk, le 24 mai 2022.

« La guerre endurcit »

Les villes sur la ligne de front ukrainienne ont été vidées de leurs habitants. Restent des personnes traumatisées, souvent âgées, qui passent la plupart de leur temps à se cacher dans des sous-sols sombres, très souvent uniquement éclairés à la lumière des bougies.

Le traumatisme psychologique de la solitude en temps de guerre inquiète l’un des anciens collègues du président ukrainien Volodymyr Zelensky.  

Cet ancien acteur porte aujourd’hui un treillis militaire et un gilet pare-balles après avoir rejoint l’armée de volontaires et pris le nom de guerre de « Franko ».

Mais il prend toujours sa guitare pour divertir les habitants, laissés seuls, lorsqu’il rend visite aux dernières personnes toujours sur place.

« La guerre endurcit les gens », analyse Franko, qui ne souhaite pas donner son identité exacte par « soucis de sécurité familiale ».  

« Ils perdent la raison et ont besoin d’être ramenés à la vie. Ils ont besoin de pouvoir à nouveau ressentir le bonheur », dit-il.

« Ils viennent sans cesse »

La place principale de Bakhmout, une ville absorbant la même vague de frappes d’artillerie que Soledar à huit kilomètres au nord-est, témoigne quotidiennement de l’angoisse qui accompagne ces vies déracinées.

« Je ne sais pas où nous allons », déclare une vendeuse, Anastassia Lebedeva, en attendant un bus d’évacuation avec sa petite fille.

« Nous essayons juste de nous éloigner le plus possible de la guerre », ajoute cette mère de 44 ans.

Les obus d’artillerie et les roquettes qui frappent Bakhmout et Soledar avec une fréquence croissante témoignent de l’intensification des frappes russes à travers l’est industriel de l’Ukraine.  

Les combats les plus violents ont lieu autour d’une route stratégique qui relie Bakhmout aux villes industrielles assiégées de Lyssytchansk et Severodonetsk.

Soledar et des villes similaires le long de l’autoroute sont méthodiquement détruites par l’armée russe.

« Il y a des combats de chars sur cette route maintenant », indique le chef de l’administration militaire de Bakhmout, Serguiï Kaliane. « Nous continuons à les repousser, mais ils viennent sans cesse dans notre direction ».

« Abandonnés »

Le commandant des forces spéciales ukrainiennes, « Tornado », sort lui d’un abri après une sieste, semblant résolument imperturbable face au nouvel assaut russe.

Pourtant, les Russes commencent à percer les dernières défenses autour de la capitale administrative, Kramatorsk, à 60 km au nord-ouest de Soledar.

« Nous avons tellement de soldats volontaires que nous ne savons pas quoi en faire », assure Tornado en riant. « Nous voulons nous battre jusqu’au bout », ajoute-t-il.

Le seul regret de ce militaire de 33 ans - exprimé également tous les jours par d’autres soldats - reste le décalage entre les promesses d’assistance militaire occidentale et le temps qu’il faut pour que les armes atteignent le front est.

Mais Rouslan Krasnov, un fermier vivant dans la périphérie de Bakhmout, ne veut lui pas voir de nouvelles armes arriver dans sa région.

Les voisins russophones de cet homme de 48 ans venaient de convaincre certains soldats ukrainiens de ne pas installer de base temporaire devant leur domicile.

Mais leurs rues ont tout de même fini par être bombardées par un feu nourri qui a rasé un hangar abritant des tracteurs et d’autres engins.

« Les gens qui vivent ici sont durs au mal », juge M. Krasnov. « Mais nous nous sentons abandonnés, assis ici dans le noir ».