Ils rêvaient du Royaume-Uni, ils pourraient aboutir en Afrique. Malgré le tollé, le gouvernement britannique semble déterminé à aller de l’avant avec son programme d’expulsion de migrants vers le Rwanda, qui se dit prêt à les prendre en charge.

Mardi, une dizaine de jeunes hommes – dont deux Iraniens, deux Irakiens, un Syrien et deux Albanais – devaient être envoyés par avion à Kigali, à plus de 6000 km de Londres. Mais un recours en justice de dernière minute a forcé l’annulation du vol prévu vers 22 h, heure locale.

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Des policiers marchent près d’un avion qui devait transporter des migrants au Rwanda, à la base aérienne de Boscombe Down, au Royaume-Uni.

« Dernier billet annulé. PERSONNE NE PART AU RWANDA », a tweeté l’association de soutien aux réfugiés Care4Calais, tandis que des sources gouvernementales ont confirmé que l’avion ne décollerait pas en raison des interventions de la Cour européenne des droits de l’homme.

La nouvelle politique du gouvernement de Boris Johnson, très polémique, vise à dissuader les traversées illégales de la Manche, qui ne cessent d’augmenter malgré ses promesses répétées de contrôler l’immigration depuis le Brexit.

Depuis le début de l’année, on estime que 10 000 migrants auraient réussi à entrer sur le sol britannique en transitant par la ville française de Calais, que ce soit sur des bateaux de fortune ou à l’arrière de camions de marchandises.

Selon Boris Johnson et sa ministre de l’Intérieur, Priti Patel, responsable du dossier, la menace d’expulsion vers le Rwanda aurait pour effet de décourager ces immigrés clandestins et d’enrayer par la bande l’industrie des passeurs qui exploitent ce réseau.

Un choix loin d’être unanime

Mais de nombreuses voix s’élèvent contre cette décision controversée.

Le haut-commissaire de l’ONU pour les réfugiés, Filippo Grandi, a condamné lundi ce « précédent catastrophique », tandis que l’Église anglicane fustigeait un projet « immoral ».

Sortant de sa neutralité, le prince Charles s’est pour sa part dit « consterné » par cette initiative, tout comme l’ensemble des ONG britanniques qui se sont mises en ordre de bataille.

« C’est inhumain et complètement irresponsable », affirme Tom Davies, porte-parole d’Amnistie internationale au Royaume-Uni.

Pour ce militant, responsable des questions d’asile, le projet du gouvernement est tout simplement « incompatible avec la convention relative au statut des réfugiés », pourtant signée par le pays en 1951.

« C’est un désastre annoncé », ajoute-t-il.

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Des manifestants se rassemblent au périmètre de la base aérienne de Boscombe Down, au Royaume-Uni, là où un avion devait emmener les demandeurs d’asile du Royaume-Uni au Rwanda.

M. Davies souligne qu’Israël avait tenté la même chose il y a quelques années, sans succès.

« Cette initiative [d’Israël] a été abandonnée, mais pas avant que beaucoup de ces migrants expulsés aient souffert d’abus au Rwanda », dit-il, rappelant que le régime du président Paul Kagame est régulièrement accusé par des ONG de réprimer la liberté d’expression et l’opposition politique.

Le programme britannique s’inspire également du programme d’expulsion de l’Australie, avec ses centres de détention offshore, notamment en Nouvelle-Guinée. À cette différence près que les expulsions du Royaume-Uni seront permanentes : selon l’entente, les personnes expulsées seront contraintes de demeurer au Rwanda et d’y faire leur demande d’asile.

« Cette fois, on externalise complètement l’asile », note François Gemenne, professeur à l’Institut d’études politiques de Paris et directeur de l’Observatoire Hugo sur les migrations environnementales. « C’est-à-dire que si la demande de ces gens est rejetée, ce sera au Rwanda de les gérer. »

Le Rwanda est prêt

Répondant aux critiques, Kigali a défendu mardi l’accord avec Londres, se disant prêt à accueillir « des milliers » de migrants expulsés dans le cadre de ce programme qualifié d’« innovant », qui constitue une « solution à un système d’asile mondial défaillant ».

« Nous le faisons pour de bonnes raisons », a déclaré une porte-parole du gouvernement en conférence de presse, arguant qu’il n’était pas « immoral d’offrir un chez-soi aux gens ».

L’entente entre les deux pays prévoit que le Royaume-Uni financera dans un premier temps le programme à hauteur de 120 millions de livres (188 millions de dollars canadiens).

Ça peut sembler extrêmement coûteux pour des résultats qui seront en fin de compte assez limités en termes d’efficacité.

François Gemenne, professeur à l’Institut d’études politiques de Paris et directeur de l’Observatoire Hugo sur les migrations environnementales

« Je dirais qu’on est plutôt dans l’ordre du symbole. Que Johnson veut montrer aux électeurs du Brexit qu’ils n’ont pas voté pour rien et que le Royaume-Uni a une maîtrise absolue du contrôle de ses frontières », ajoute-t-il

Les effets semblent pourtant se faire sentir. Joint à Calais, Pierre Roques, responsable de l’organisme d’aide aux migrants Utopia 56, confirme que les migrants se font plus rares depuis l’annonce du plan britannique.

« Il y a une vraie angoisse, dit-il. Les gens ont très peur de se faire envoyer au Rwanda. Ils se sont un peu éloignés de la frontière et se sont repliés vers Bruxelles et Paris en attendant de voir si ça va se passer ou pas… Nous, on sait bien que ce ne sera pas applicable. Ils font ça pour faire peur. Si ça marche, ça ne va marcher qu’un temps… »

-Avec Agence France-Presse