Boris Johnson s’est finalement résigné jeudi à quitter son poste comme chef du Parti conservateur après avoir été confronté à une vague de démissions sans précédent au sein de son gouvernement. Il entend demeurer premier ministre jusqu’à ce que son successeur soit désigné, une situation qui est loin de faire consensus au sein de la formation.

Pourquoi a-t-il finalement accepté de partir ?

La démission choc mardi de deux ministres influents qui remettent en question l’intégrité de Boris Johnson avait été suivie mercredi par l’annonce du départ de dizaines de membres du gouvernement, ce qui avait semblé mettre le premier ministre au pied du mur. Il avait toutefois insisté en soirée devant des membres du cabinet cherchant à le convaincre de partir de la nécessité de poursuivre son travail. Quelques démissions de plus se sont ajoutées à la liste tôt jeudi matin avant que M. Johnson n’annonce, lors d’une allocution devant le 10 Downing Street, qu’il renonçait à chapeauter le parti et demeurerait en poste comme premier ministre jusqu’à ce que le Parti conservateur désigne son successeur. « Il a finalement accepté qu’il ne lui reste plus de solutions pour s’en sortir », relate en entrevue Christopher Stafford, un politologue britannique. Boris Johnson aurait pu continuer à s’accrocher, mais il était presque assuré, note le chercheur, de subir rapidement un vote de défiance promettant de tourner « très mal » pour lui après avoir survécu à un premier vote de cette nature en juin.

Comment Boris Johnson a-t-il expliqué sa décision ?

Le premier ministre s’est fait reprocher à plusieurs reprises d’avoir menti relativement à des scandales qui ont secoué son gouvernement, notamment le « partygate » qui portait sur la tenue de plusieurs soirées arrosées dans sa résidence officielle en pleine pandémie de COVID-19. Il a de nouveau été pris en défaut la semaine dernière relativement à ce qu’il savait du passé d’un allié nommé en février comme whip en chef adjoint du parti malgré d’importants écarts de conduite. Il n’a pas esquissé d’excuses relativement à ses dérives jeudi lors de son allocution, reprochant plutôt aux élus conservateurs d’avoir été emportés par un « effet de meute » les empêchant de reconnaître l’importance des réalisations de son gouvernement. L’absence de mea culpa n’étonne pas outre mesure Steven Fielding, politologue de l’Université de Nottingham. « Il est convaincu de n’avoir rien à se reprocher et pense que les gens qui le blâment sont fous », relève le chercheur.

Peut-il se maintenir temporairement comme premier ministre malgré l’importance de l’opposition à son égard dans les rangs conservateurs ?

Plusieurs membres du parti ont fait savoir jeudi qu’ils étaient en désaccord avec la possibilité que Boris Johnson demeure premier ministre en attendant que son successeur soit désigné et le remplace à la tête du gouvernement, un processus pouvant prendre plusieurs mois. L’ex-premier ministre conservateur John Major a indiqué qu’il était impensable que le politicien reste au pouvoir alors qu’il a perdu la confiance du gouvernement et des élus et le presse de céder sa place au vice-premier ministre, Dominic Raab. Le premier ministre a assuré de son côté qu’il ne chercherait pas à mettre en place de nouvelles politiques ou d’imposer des « changements majeurs de direction » au gouvernement en attendant que son successeur soit désigné. Selon M. Stafford, seul un vote de défiance perdu à la Chambre des communes serait susceptible de contraindre Boris Johnson à partir avant cette échéance, mais il entraînerait la chute du gouvernement conservateur et placerait le parti dans une position périlleuse alors qu’il dispose actuellement d’une majorité « à toute épreuve » assurant son maintien au pouvoir. Il paraît peu probable que beaucoup d’élus conservateurs votent en ce sens si l’opposition travailliste demande comme elle le promet un vote de cette nature, note le chercheur, qui s’attend plutôt à ce que les opposants conservateurs du premier ministre cherchent à raccourcir le processus de nomination de son successeur pour accélérer son départ.

Faut-il s’attendre à une course à la succession serrée ?

M. Fielding note que Boris Johnson a longtemps été jugé indélogeable à la tête du Parti conservateur parce qu’il était vu comme le seul politicien assez charismatique pour faire triompher la formation dans les urnes. Maintenant que sa sortie se confirme, plusieurs élus risquent de se bousculer pour le remplacer. Le ministre de la Défense, Ben Wallace, et la secrétaire d’État au Commerce extérieur, Penny Mordaunt, figurent parmi les favoris selon une analyse de la BBC. Normalement, les candidats s’affrontent lors d’une série de votes par élimination tenus auprès des élus conservateurs. Les deux qui restent à la fin font ensuite campagne avant un vote final de l’ensemble des membres du parti. Le processus avait pris deux mois après l’annonce du départ en 2019 de l’ex-première ministre Theresa May, qui avait aussi assuré l’intérim, mais pourrait être raccourci dans le cas présent, selon M. Stafford. « Beaucoup d’élus veulent que Johnson parte définitivement avant de pouvoir faire encore plus de tort au parti », note-t-il.

PHOTO DANIEL LEAL, AGENCE FRANCE-PRESSE

Ben Wallace, ministre de la Défense

Quel bilan peut-on faire du mandat de Boris Johnson ?

Boris Johnson, note Steven Fielding, est exceptionnellement doué en campagne, ce qui lui a permis de mener le Parti conservateur à une victoire écrasante lors des élections législatives de 2019, mais il a peu de réalisations à présenter après trois ans de mandat. Le Brexit a été formalisé, mais certains problèmes demeurent et son impact économique s’annonce très problématique. Sa gestion de la pandémie de COVID-19, malgré quelques succès sur le plan de la vaccination, s’est traduite par un nombre élevé de décès, ajoute M. Fielding, en relevant que les scandales à répétition ont miné l’ensemble de l’action du gouvernement. Frédéric Mérand, professeur de science politique à l'Université de Montréal, pense qu’il faut reconnaître au politicien le mérite d’avoir formalisé le Brexit même si quelques enjeux demeurent irrésolus. Il s’est aussi montré constructif, dit-il, en matière de politique étrangère, notamment par son soutien envers l’Ukraine face à la Russie. « Sur le plan interne, c’est un échec sur toute la ligne puisqu’il n’a pratiquement rien fait de ce qu’il avait promis », note le chercheur, qui insiste aussi sur l’importance des scandales survenus sous sa gouverne. « On risque plus de se souvenir du personnage que de ses réalisations », relève M. Mérand.