Faute de solutions de rechange, un nombre croissant de migrants se résignent à tenter une traversée à haut risque de la Manche à bord de petites embarcations pour passer de la France à la Grande-Bretagne.

Selon le ministère de la Défense britannique, pas moins de 1295 d’entre eux ont réussi par ce stratagème à franchir la voie maritime lundi, établissant un record pour une seule journée.

Des données colligées par la BBC indiquent que plus de 20 000 migrants ont effectué la traversée en bateau depuis le début de l’année, comparativement à 11 300 à pareille date l’année dernière.

PHOTO GARETH FULLER, ASSOCIATED PRESS

Un groupe de personnes soupçonnées d’être des migrants est amené à Douvres par un navire des forces frontalières, à la suite d’un incident de petite embarcation sur la Manche, dans le Kent, au Royaume-Uni mardi.

Une décision « vite prise »

William Feuillard, qui travaille pour une association de Calais venant en aide aux migrants du côté français, a indiqué mardi à La Presse que la hausse des passages en embarcation est imputable au renforcement des mesures de surveillance visant à empêcher tout passage illégal de la Manche par l’Eurotunnel ou le port de Calais.

Les migrants se retrouvent « aux mains de passeurs » qui peuvent mettre leur embarcation à l’eau n’importe où sur une côte de plus de 100 kilomètres de long, rendant toute surveillance efficace par les autorités pratiquement « impossible ».

La distance à franchir est parfois sensiblement plus longue qu’à la hauteur de Calais, augmentant d’autant les risques d’accident.

« Entre ce qui les attend s’ils restent dans la région et le risque qu’ils doivent prendre en prenant le bateau, la décision est vite prise », note M. Feuillard.

Selon M. Feuillard, le gouvernement français fait tout pour que la vie des migrants qui se rendent dans la région soit un « enfer ».

Les infrastructures d’accueil étatiques sont pratiquement inexistantes et les forces policières multiplient les interventions en saisissant tentes et équipement, les forçant à se débrouiller comme ils le peuvent face aux éléments, souvent avec l’aide d’associations locales.

M. Feuillard note que l’association l’Auberge des migrants, à laquelle il est associé, a distribué l’année dernière des quantités très importantes de bois de chauffage pour permettre à des migrants de faire des feux et de résister tant bien que mal aux rigueurs de l’hiver.

Les migrants, ajoute-t-il, doivent aussi composer avec le risque d’être contraints de présenter une demande de statut de réfugié dans leur pays d’arrivée au sein de l’Union européenne et « d’attendre et attendre » une réponse alors qu’ils se trouvent dans une situation difficile.

Beaucoup, note M. Feuillard, sont convaincus qu’ils ont plus de chances de s’intégrer durablement en Grande-Bretagne et d’y obtenir rapidement un emploi susceptible de leur faciliter la vie en attendant une éventuelle régularisation de statut.

Un programme controversé

L’afflux de migrants préoccupe le gouvernement conservateur du premier ministre Boris Johnson, qui a annoncé au printemps un programme controversé prévoyant l’envoi au Rwanda de migrants parvenant en Grande-Bretagne par des « méthodes illégales, dangereuses ou inutiles ».

Le premier vol nolisé devant transporter des migrants dans cette situation a été stoppé en juin sur ordre de la Cour européenne des droits de l’homme, reportant l’entrée en vigueur du programme au moins de quelques mois.

Le gouvernement maintient néanmoins son intention d’aller de l’avant dans le but avoué de décourager le passage de migrants à bord de petites embarcations.

La ministre des Affaires étrangères, Liz Truss, qui est la favorite pour remplacer Boris Johnson à la tête du Parti conservateur et du gouvernement, a déjà fait savoir qu’elle entendait maintenir le programme et chercherait même à l’élargir à d’autres pays.

Le Refugee Council, un organisme d’aide aux migrants, a indiqué mardi dans un communiqué que la décision du gouvernement britannique « de traiter des gens comme du fret en les envoyant au Rwanda » n’a aucunement freiné les tentatives de passage de la Manche.

Les personnes qui tentent de la franchir ont fui la guerre et l’oppression dans des pays comme l’Afghanistan et la Syrie et n’ont « pas le choix » de s’engager dans des périples « terrifiants » pour enfin être en sécurité, souligne son président, Enver Solomon.

M. Feuillard note que les migrants croisés à Calais font peu de cas des menaces de déportation vers le Rwanda lorsqu’ils en ont conscience.

« Ils ont d’autres préoccupations en tête », note le militant, qui presse la France et à la Grande-Bretagne de revoir leurs façons de faire plutôt que de s’entêter à utiliser la manière forte.

L’approche flexible utilisée cette année avec les Ukrainiens fuyant la guerre, qui ont pu s’installer dans les pays de leur choix en zone européenne, montre qu’un accueil plus « digne » des migrants est possible, dit-il.

« Ça prend du pragmatisme et du courage politique pour y arriver », conclut M. Feuillard.