La vague de riches industriels russes disparus soudainement cette année se poursuit

Président du conseil d’administration d’un groupe pétrolier russe, Ravil Maganov est mort jeudi dans un hôpital de Moscou. Dépressif, il s’est jeté du sixième étage de l’établissement, a expliqué une agence de presse russe, citant une source policière anonyme. Il est mort d’une « grave maladie », a plutôt annoncé son entreprise.

Chose certaine, l’annonce de son décès alimente les rumeurs : au moins huit hommes d’affaires russes connus sont morts soudainement cette année.

« Ce n’est pas la première personne bien en vue à mourir dans des circonstances suspectes, note Maria Popova, professeure agrégée à l’Université McGill. Ça confirme simplement qu’être oligarque est un métier dangereux. »

Ces riches industriels ont fait fortune dans la privatisation des ressources après la dissolution de l’Union soviétique. Un système « très corrompu », explique la politologue, et imbriqué dans le système politique.

Contestation

Âgé de 67 ans, Ravil Maganov était l’un des dirigeants historiques de Loukoïl, un groupe pétrolier privé fondé en novembre 1991. Le président de l’entreprise, le milliardaire Vaguit Alekperov, avait démissionné fin avril, après avoir été mis sur une liste des personnalités russes sanctionnées par le Royaume-Uni.

Loukoïl, deuxième producteur de pétrole en Russie, a été l’une des très rares entreprises russes à demander la fin rapide de l’offensive en Ukraine.

« Avec les morts suspectes, beaucoup de gens soupçonnent une implication politique, mais nous ne savons à peu près rien, avertit Mme Popova. Il s’est opposé à la guerre, mais ce n’était pas un militant antiguerre non plus. On ne sait pas s’il y a un lien. »

Plusieurs morts

M. Maganov est une des figures à la plus grande notoriété à trouver la mort cette année dans des circonstances qui soulèvent des questionnements.

Un autre ancien dirigeant de l’entreprise, Alexander Soubbotine, a rendu l’âme en mai dernier. Il aurait souffert d’une crise cardiaque dans le sous-sol d’un shaman au nord de Moscou, selon l’agence de presse publique russe TASS.

Les milliardaires issus de l’industrie de l’énergie semblent particulièrement touchés par ces morts précoces. L’ancien dirigeant de l’entreprise de gaz naturel liquide Novatek, Serguey Protosenya, a été retrouvé sans vie en avril dernier, avec sa femme et sa fille de 18 ans, dans une villa espagnole. Les premières hypothèses laissaient croire à des meurtres suivis d’un suicide.

La veille, un autre oligarque, du secteur bancaire, avait été trouvé mort dans des circonstances similaires dans son appartement de la capitale russe, avec les corps de sa femme et de sa fille de 13 ans. Vladislav Avayev était l’ancien vice-président de Gazprombank.

Théories du complot

Les informations restent parcellaires. Dans le cas de Ravil Maganov, la police n’avait pas donné d’informations officielles. Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, s’est refusé à tout commentaire et a affirmé que cette question ne concernait « pas du tout » la présidence russe.

Le silence et les contradictions nourrissent les différentes hypothèses.

C’est sûr qu’il y a plusieurs théories du complot, certaines tirées par les cheveux. Mais les Russes ne sont pas surpris de ces décès.

Maria Popova, professeure agrégée à l’Université McGill

Si les médias occidentaux s’intéressent plus attentivement à la disparition des oligarques depuis l’invasion en Ukraine en février 2022, les morts mystérieuses de personnalités russes, opposants ou oligarques, ne sont pas nouvelles — en Russie comme à l’extérieur de ses frontières.

Réfugié au Royaume-Uni, l’homme d’affaires Boris Berezovsky, critique de Vladimir Poutine, a été par exemple retrouvé mort dans sa salle de bains en 2013, une écharpe lui enserrant cou. Le coroner n’a pas pu déterminer avec certitude s’il s’agissait d’un suicide ou d’un meurtre. Le commissaire responsable du dossier a indiqué qu’il n’y avait aucune preuve de l’implication d’une autre personne dans son décès.

« Ce n’est pas un précédent [la mort de Ravil Maganov], précise Mme Popova. C’est difficile de voir s’il y a une tendance en ce moment ; ça fait un bout que les oligarques meurent dans des circonstances nébuleuses. On ne sait pas s’il y en a plus maintenant, ou si le climat fait qu’on en parle plus. »

Avec l’Agence France-Presse, BBC et Reuters