Du personnage public, on savait tout. Photographiée sous tous ses angles pendant près d’un siècle, Élisabeth II était – de loin – la figure la plus reconnaissable de son époque. Mais que savait-on de la femme, de l’épouse, de la mère ou de la grand-mère ?

Pendant toutes ses années sur le trône, la reine d’Angleterre est parvenue à rester relativement secrète, les informations sur son intimité ne filtrant qu’au compte-gouttes malgré la pression médiatique. Un contraste qui conduira certains journalistes à qualifier ce personnage, à la fois distant et omniprésent, d’« énigme familière ».

« Elle était la dernière représentante d’une certaine vision de la monarchie. Elle représentait cette période du passé où la royauté était affaire de déférence, de respect et de mystique. Il est évident que Charles n’a pas la même relation avec ce décorum hérité de la monarchie médiévale, que la reine avait si bien réussi à maintenir », souligne Anna Whitelock, historienne de la monarchie et professeure à l’Université de Londres.

Elle aimait les Special K

Du peu qu’on sait, il semble qu’Élisabeth avait, en marge de sa vie publique fastueuse, des goûts relativement modestes, que d’aucuns ont parfois décrits comme étant de « classe moyenne ».

Comme la plupart de ses sujets, elle aimait le thé, les céréales Special K, les sandwiches à la confiture, le fromage (avec du céleri, please) et le gâteau au chocolat, sans oublier le petit verre de gin, de Dubonnet ou le martini que son mari lui préparait à l’occasion.

Comme beaucoup de Britanniques, elle écoutait la radio (surtout la chaîne publique BBC), lisait le Daily Telegraph et affectionnait des classiques de la télé anglaise, comme Coronation Street et Hercule Poirot.

Peu friande d’opéra ou de littérature, elle était en revanche amatrice de photographie, apportant son petit appareil Leica dans la plupart de ses déplacements.

Son goût pour le chic rural et pour les animaux était plus haut de gamme. Depuis son premier poney, reçu à l’âge de 4 ans, Élisabeth avait développé une passion pour l’équitation et l’élevage des chevaux. On sait que la plupart de ses lectures, quand il ne s’agissait pas de documents politiques, tournaient autour du sujet et qu’elle consultait régulièrement le magazine Horses & Hounds.

PHOTO STEVE PARSONS, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

La reine Élisabeth II au Royal Windsor Horse Show, en juillet 2021

Elle était aussi folle de ses petits chiens, des Corgis pure race, et en aurait possédé plus d’une trentaine au cours des années.

Un sens de la famille particulier

Sur le front personnel, on la disait très portée sur la famille.

À la mort de Lady Di, la monarque aurait d’ailleurs laissé sa place à la grand-mère, se retirant du monde avec Harry et William, un geste que le grand public lui reprochera, confondant ce repli avec de l’indifférence. « Elle n’était pourtant, à ce moment, qu’une grand-mère protectrice », dit Anna Whitelock.

La mère a peut-être été un peu moins investie.

Happée par ses fonctions et ses voyages, la jeune reine n’aurait pas toujours été très présente pour ses enfants, notamment pour son aîné, qui montera enfin sur le trône, après une très longue attente.

« Elle aurait pu être une meilleure mère », confie l’auteure britannique Penny Junor, qui a écrit plusieurs livres sur la famille royale. « Je crois que plusieurs problèmes du prince de Galles ont été causés par son enfance. Elle était plus préoccupée par le royaume et n’a pas vraiment fait attention à lui. Son père était par ailleurs exigeant et se montrait souvent déçu de lui. Résultat, Charles n’a jamais été un homme très confiant. »

« D’ailleurs, si je devais dire qui était le membre préféré de sa famille, je dirais ses chiens, avant ses enfants », ajoute Mme Junor, un sourire dans la voix.

PHOTO ANDREW MILLIGAN, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

La reine Élisabeth à Glasgow, en juin 2021

Personnalité mystère

Sa personnalité, enfin, a été un mystère pour bien des gens. Si elle donnait publiquement l’image d’une femme neutre, sorte d’écran blanc permettant au peuple de projeter ses propres humeurs, c’était manifestement différent en privé.

Ce fut en partie là la raison de son succès. Qu’elle n’ait pas eu de personnalité, publiquement du moins, fait qu’il était pratiquement impossible de ne pas l’aimer.

Penny Junor, auteure de plusieurs livres sur la famille royale

Selon Penny Junor, qui a consacré deux livres à la reine, Élisabeth n’aurait que tardivement commencé à montrer sa véritable personnalité, c’est-à-dire une fois que l’avenir de la famille royale lui semblait assuré.

« Elle a commencé à se détendre un peu à partir du jubilé de diamant en 2012. Parce qu’elle a vu que, finalement, tout allait bien. Que son fils avait retrouvé la popularité, qu’il avait épousé la femme qu’il aimait et que le pays l’acceptait », affirme l’écrivaine.

Chose jusque-là impensable, Élisabeth a dévoilé alors une facette de son caractère jusque-là réservée à son entourage plus ou moins immédiat : son sens de l’humour.

Pour Penny Junor, sa prestation en compagnie de l’acteur Daniel Craig, pour l’ouverture des Jeux olympiques de Londres en 2012, en dit long sur les aspects les plus coquins de cette femme foncièrement souriante.

Regardez le court-métrage tourné avec Daniel Craig à l’occasion des Jeux de Londres

On peut y voir la reine suivre celui qui incarnait alors James Bond au cinéma, monter dans un hélicoptère avec ses deux chiens, puis sauter en parachute alors qu’elle survole le Parc olympique. Une doublure, évidemment, mais le fait que Son Altesse se soit prêtée au jeu pour la première partie de cette mise en scène démontre, selon Penny Junor, qu’elle était « jeune de cœur et de bonne composition [good fun]. »

Tous ceux et celles qui l’ont rencontrée parlent enfin d’une femme vive d’esprit, capable de parler de tout et de rien, en français au besoin, n’hésitant pas à prendre un peu plus de temps avec certaines personnes si le sujet l’intéressait particulièrement. Reine d’Angleterre, mais aussi reine du small talk.

On n’en sait guère plus, sinon qu’Élisabeth écrivait chaque soir son journal intime. Qu’y consignait-elle ? Ses confidences ? Ses réflexions sur le monde ? Ces écrits, s’ils sont un jour dévoilés, combleront assurément la part de mystère qu’elle emporte avec elle dans sa tombe.

Philip, son complice

PHOTO ANDRÉ HÉBERT, ARCHIVES LA PRESSE

La reine Élisabeth II et le prince Philip lors d’une visite à Montréal, en 1959

Si sa relation avec ses enfants a été souvent qualifiée de froide, sa relation de couple a visiblement été plus réussie. Élisabeth et le duc d’Édimbourg ont été unis pendant 74 ans à partir de leur mariage, le 20 novembre 1947, jusqu’à la mort de Philip le 9 avril 2021. Ce choix matrimonial aurait à l’origine déplu aux parents d’Élisabeth, qui s’y opposaient. On ne saura sans doute jamais comment elle et lui s’entendaient en privé, mais leurs représentations en public laissaient soupçonner une connivence certaine, croit Anna Whitelock. « Il était toujours un pas derrière elle. Elle s’est toujours appuyée sur lui. Ce fut un partenaire important, qui faisait partie de l’équation. Je crois que son rôle a été sous-estimé. »