(Londres, Grande-Bretagne) Business as usual ? Pas tout à fait. Même si la vie continue à Londres, il y avait vendredi matin quelque chose de différent dans l’air…

La ville, qui grouillait de vie il y a encore deux jours, avec les piaillements de la rentrée scolaire, semblait tout à coup plus éteinte. Avec raison.

Pour la première fois depuis 70 ans, le Royaume-Uni s’est réveillé sans la reine Élisabeth II, morte jeudi à l’âge de 96 ans. Dans un pays où la plupart des habitants n’ont connu qu’elle comme souveraine, ce départ laisse un trou béant, que son fils Charles III, notoirement moins populaire, ne parviendra peut-être jamais à remplir.

On ose à peine imaginer les proportions du deuil national qui doit se déployer pendant 10 jours en Angleterre, en Écosse, en Irlande du Nord et au Pays de Galles. Entre les branches, on murmure qu’un million de personnes viendront dans la capitale à la fin de la semaine prochaine pour voir la monarque, qui doit être exposée à Westminster, et que l’attente pourrait durer jusqu’à 24 h.

La pluie qui s’est abattue à midi sur la capitale rajoutait à cette ambiance de fin de règne. Les Londoniens marchaient lentement sur la chaussée mouillée, en ayant l’air de réfléchir à la page d’histoire qui vient de se tourner.

Des milliers s’étaient aussi donné rendez-vous à Buckingham Palace, tout en sachant que la reine n’y était pas et qu’elle n’y sera plus, sinon quelques heures, mardi et mercredi, quand on aura rapatrié son cercueil d’Écosse, où elle a rendu son dernier souffle.

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Les Britanniques accueillent le roi Charles III à son arrivée à Buckingham Palace, vendredi.

Il y avait de la tristesse, mais on ne peut pas dire que l’ambiance était lourde devant les grilles du château. « Calme et recueillie » seraient des mots plus justes. Tout le monde s’y attendait, il n’y a ni choc ni surprise, juste l’inévitable fatalité.

« Je pense que les gens sont encore un peu sonnés », nous dira un bobby (policier londonien) en poste depuis tôt le matin.

Quand il a commencé à pleuvoir, des centaines de parapluies se sont ouverts en même temps. Impression d’une mise en scène soigneusement préparée pour l’épisode final de The Crown. Au sommet du château, le drapeau britannique était descendu à mi-mât en signe de deuil.

Les policiers ont ensuite dispersé la foule pour laisser passer le cortège militaire du King’s Troup Royal Horse Artillery, dans une de ces démonstrations à l’ancienne, si typiquement britanniques. Si on a bien compris, ce sont eux qui ont fait tonner les canons à 96 reprises à 13 h tapant, un autre protocole royal visant à rappeler l’âge de la souveraine au moment de son décès.

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Puis les curieux ont repris possession de la rue, pour « rendre hommage » et « montrer du respect » à celle qui fut si longtemps le visage du Royaume-Uni, image rassembleuse et gage de stabilité dans un monde qui change trop vite.

On déposait des gerbes de fleurs, on se prenait en selfie devant les grilles, pour bien prouver qu’on y était. On portait des t-shirts de la reine version « pop art » ou Bowie-période-Ziggy, comme si Elizabeth était une rock star de plein droit. Étrange contraste avec l’austérité du personnage, même si celui-ci était devenu une véritable icône de la culture populaire.

« C’est vraiment un moment historique, je n’aurais raté cela pour rien au monde, lance Rob Stokoe, un union jack (drapeau britannique) autour du cou. On vient de perdre notre mamie. La reine avait tout vu, tout entendu. Elle nous a inspirés dans les moments difficiles. Elle était vraiment la grand-mère de la nation. »

L’idée de « famille » revenait souvent vendredi, devant le palais. Même si elle était à des kilomètres de leur réalité, et qu’elle n’a jamais livré le fond de sa pensée sur quelque sujet que ce soit, plusieurs Britanniques se sentaient proches d’Élizabeth. « On appartenait à sa famille et elle à la nôtre », résume Harry McDonald.

Son absence de prises de position a peut-être contribué à renforcer cette relation avec le pays. Élisabeth II était l’écran blanc sur lequel chacun pouvait se projeter, hors de tout débat politique. Elle était figure de consensus, flottant au-dessus de la mêlée.

« Je m’identifiais carrément à elle, souligne Maisie McNeice, qui en est à sa seconde visite à Buckingham Palace en 24 h. C’était une vieille dame, adorable et digne. Je suis tellement groupie, j’ai failli conduire 9 heures pour aller las voir en Écosse. Et comptez sur moi j’attendrai 24 h en file pour la voir à Westminster Hall s’il le faut. »

Pour plusieurs, Élisabeth II fut aussi la reine d’un parcours (presque) sans faute, et ce, jusqu’à sa sortie, parfaitement réussie.

La reine avait des problèmes de santé et ne s’est jamais vraiment remise de la mort du prince Philip. Mais elle a tenu bon jusqu’à son jubilé de diamant et même jusqu’à la nomination de la nouvelle première ministre Liz Truss, la quinzième à avoir dirigé le pays sous son règne, qu’elle a rencontré pas plus tard que mardi.

Apparemment, elle a attendu que le travail soit accompli avant de nous quitter pour de bon. Une autre preuve de son incroyable dévouement à la fonction

« C’est la fin d’une époque », résume Sandra McDonald, 81 ans, venue se recueillir avec son mari Harry. Aujourd’hui je suis triste, mais je n’ai pas de regrets. Elle a tout donné pour son pays. Et moi, toute ma vie, elle m’a rendue heureuse… »