(Londres et Windsor) Voilà, c’est terminé. Après 12 jours de deuil national, la reine Élisabeth II a été inhumée lundi après-midi dans la crypte de la chapelle Saint-Georges au château de Windsor, au terme de funérailles grandioses et émouvantes, qui s’inscriront vraisemblablement dans les livres d’histoire.

Que dire qui n’ait été dit ? Elle était la personne la plus connue sur terre, une icône, un symbole. Et cette ultime journée de deuil national était à l’image de son prestige et de son rayonnement.

Difficile de ne pas être impressionné par ce ballet funéraire grandiloquent, chorégraphié au millimètre près.

De l’abbaye de Westminster au château de Windsor, l’opération s’est déroulée dans la plus grande théâtralité, à grands coups de trompettes, de costumes flamboyants et de cornemuses tristes, tandis que des milliers de Britanniques disaient adieu à leur reine, morte le 8 septembre à l’âge de 96 ans, après 70 ans de règne.

On peut retenir plusieurs moments forts de cette journée pour le moins ostentatoire. Mais l’image du cercueil de la reine, descendant dans la voûte de la chapelle Saint-George sur fond de chants religieux, frappait l’imagination.

Tout comme celle du lord-chambellan, grand officier de la cour, brisant le bâton symbolisant ses années de service à la reine, un rite qui n’avait apparemment encore jamais été vu à la télé.

Quelques minutes avant cette étonnante mise en scène, des milliers de curieux s’étaient massés le long du « Long Walk » menant au château de Windsor, ainsi que dans un parc voisin, pour voir la reine franchir une dernière fois les grilles de son ultime demeure, en vrai ou sur grand écran.

De fait, la « Long Walk » (longue marche) n’avait jamais aussi bien porté son nom. La procession vers le château a semblé durer des heures, tandis qu’un cortège militaire et les membres de la famille royale accompagnaient lentement le corbillard vers le château.

Ambiance calme, loin de la liesse du mariage de Harry et de Meghan, qui s’était déroulé au même endroit en 2018.

Il n’y avait cette fois ni champagne, ni verres de Pimm’s, ni Union Jack flottant au vent. Que des manteaux aux couleurs neutres et des vendeurs de gugusses royaux désœuvrés.

Debout dans l’herbe, les curieux contemplaient la scène avec morosité et le sentiment d’une page qui se tourne, pour la plupart des habitants de Windsor et de la région, qui ne voulaient pas manquer ce « moment historique ».

« C’est bien de sentir l’atmosphère et d’être là avec d’autres gens. Après tout, c’est ici qu’elle va reposer » a confié Jackie Rosser, en se disant impressionnée par tout l’apparat de l’évènement.

PHOTO JEAN-CHRISTOPHE LAURENCE, LA PRESSE

Jackie Rosser

Dans la foule, des gens de tous les âges témoignaient de la résonance universelle d’Élisabeth II. On soulignait sa persistance, son sens du devoir, sa stabilité. Mais on en profitait aussi pour s’interroger sur le sens de sa disparition et le vide qu’elle laissera derrière elle, signe que ce moment portait aussi à la réflexion et à la remise en question.

« Elle représentait ce que c’est que d’être britannique, a souligné ainsi Lucy Thirkettle, 20 ans. Je pense qu’avec son départ, c’est une part de notre identité qui s’en va…

« Mais en même temps, la monarchie est un peu dépassée, non ? », s’est empressée d’ajouter sa copine Anna Roe.

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Lucy Thirkettle et Anna Roe

Interrogée quelques mètres plus loin, Hannah Morris tenait à peu près le même discours : « Les choses vont forcément changer maintenant. J’espère que la famille royale et la société britannique en profiteront pour devenir plus acceptantes », a-t-elle confié, en évoquant spécifiquement les enjeux d’inégalités économiques et ethniques.

À l’ancienne

Ces funérailles n’étaient certes pas un exemple de modernité. On était plutôt dans la tradition pur jus, le « vintage » absolu, les rites séculaires.

La journée avait commencé à 6 h 30 avec la fin de la chapelle ardente au Westminster Hall, où des dizaines de milliers de visiteurs ont défilé quatre jours et cinq nuits pour rendre hommage à la défunte.

À 10 h 35, des gardes royaux ont déposé le cercueil d’Élisabeth II sur un affût de canon de la Royal Navy, tiré par 142 marins – pas un de plus, pas un de moins – qui ont amené la défunte vers l’abbaye de Westminster, suivis du roi Charles, du prince Andrew, de la princesse Anne, du prince Edward et des princes William et Harry.

La cérémonie, dirigée par le doyen de Westminster, David Doyle, a eu lieu devant plus de 2000 invités, dont le président américain Joe Biden, le président français Emmanuel Macron et le premier ministre canadien Justin Trudeau, accompagné de Sophie Grégoire, pour ne nommer que ceux-là.

Elle s’est terminée sur une minute de silence nationale, où le Royaume, exceptionnellement uni, a semblé s’immobiliser d’un seul coup. Dernier hommage d’un peuple à sa souveraine pendant 70 ans. Derniers adieux à une époque révolue, que la reine était l’une des dernières personnes à incarner.

Après la cérémonie, le cortège royal s’est ébranlé vers le Welllington Arch, dernière halte londonienne avant le voyage à Windsor, et a parcouru pendant un long moment les rues de la capitale britannique.

Difficile de ne pas être impressionné par le défilé formé de chevaux et de soldats en uniformes flamboyants, progressant au rythme des marches militaires lancinantes qui accompagnaient la procession. Si on peut être critique devant cette démonstration pompeuse, vestige d’une puissance impériale réduite à peau de chagrin, force est d’admettre que les Britanniques maîtrisent à la perfection l’art du protocole et de la parade militaire.

La reine a été inhumée en soirée, passé 21 h (heure locale), après une dernière cérémonie, intime, à la chapelle Saint-George. Elle reposera dans le caveau royal Windsor, en compagnie de son mari Philip.

Selon les estimations, l’évènement aurait été suivi par 4 milliards de téléspectateurs.