Un mois après la mort de la reine Élisabeth II, le palais de Buckingham et les diffuseurs britanniques sont engagés dans une bagarre concernant les droits de diffusion des images des funérailles de la souveraine.

Les représentants de la Couronne ont pratiquement sommé les diffuseurs de créer une banque d’images d’une durée de 60 minutes qu’ils pourraient dorénavant utiliser et de jeter tout le reste. Cette banque d’images doit aussi être approuvée par le palais de Buckingham.

Vendredi, une vedette de la BBC, l’ancien présentateur David Dimbleby, a ajouté un chapitre à cette affaire en révélant à quel point la famille royale a contrôlé pratiquement en direct la diffusion des images durant les funérailles.

Lors d’une conférence au festival de littérature Henley Book, M. Dimbleby, qui a repris du service le temps des funérailles, a indiqué que la BBC recevait des courriels « presque simultanément » de représentants du Palais dictant les séquences à ne plus montrer par la suite.

Le prince George se touche le nez ; ne le montrez pas. [Les princesses] Beatrice et Eugenie quittent la chapelle Saint-Georges ; ne le montrez pas. Il y avait une liste complète de choses que les diffuseurs ne pouvaient montrer parce que les droits appartiennent au palais de Buckingham. Je crois que c’est incorrect.

David Dimbleby, ancien présentateur de la BBC

Le palais de Buckingham entend garder le contrôle sur la diffusion d’images relatives aux activités du nouveau roi, Charles III, constate-t-on aussi à la lecture de plusieurs articles.

Au Palais, un membre du service des communications a décliné notre demande d’éclaircissements. « Ce n’est pas quelque chose que nous aimerions commenter », a indiqué Izzy Stepehnson dans un courriel à La Presse.

Dans un récent reportage, le quotidien britannique The Guardian indiquait que les trois diffuseurs officiels des funérailles, la BBC, ITV et Sky News, ont été sommés de soumettre au plus tard le 2 octobre leur compilation de 60 minutes d’images à être approuvées.

« Une fois cette procédure terminée, la vaste majorité des images restantes des cérémonies seront retirées de la circulation. Tous les médias souhaitant utiliser des images non approuvées devront les faire approuver à la pièce par la famille royale », ajoute-t-on.

Or, il suffit d’aller sur YouTube pour visionner d’innombrables montages d’images des cérémonies entourant la mort de la reine. Que fera la famille royale pour s’y opposer ? Cela reste à voir.

Rebondissement préoccupant

Chose certaine, l’affaire soulève de nombreux commentaires dans le milieu des médias.

Dans un échange de courriels avec La Presse, l’Union nationale des journalistes (NUJ) du Royaume-Uni a exprimé son inquiétude face à ces demandes.

« Cette question a fait l’objet de discussions au conseil d’éthique de la NUJ et le syndicat réfléchit à la meilleure façon de répondre à ce rebondissement préoccupant », nous a-t-on signifié.

À l’Université du Québec à Montréal (UQAM), le professeur Patrick White, de l’École des médias, estime que les demandes de Buckingham Palace sont « abusives et inacceptables ».

C’est un drapeau rouge pour les années à venir si le service de presse de Buckingham Palace entend fonctionner de cette façon avec les médias en général. C’est une entente qui aurait dû se faire avant les funérailles et non après.

Patrick White, professeur à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal (UQAM)

M. White ne croit pas que la directive sera suivie. « En Grande-Bretagne, il y a une liberté d’expression encore plus forte qu’ici. »

Ysolde Gendreau, professeure titulaire et spécialiste en propriété intellectuelle à la faculté de droit de l’Université de Montréal, qualifie la situation d’« étrange ».

« Cela me fait penser à Wallis Simpson, lorsque les journaux américains entrant en Angleterre étaient vérifiés pour faire enlever des éléments concernant ses relations avec Édouard VIII », dit-elle à propos de cette histoire remontant aux années 1930.

Tim Luckhurst, directeur du South College de l’Université Durham, en fait aussi mention dans un article intitulé « Media deference to the royals must have a limit » et publié sur le site The Conversation. « Les titres de la presse étrangère ont évoqué cette relation durant dix mois avant que les journaux britanniques en parlent à leurs lecteurs », écrit-il.

Sur la situation actuelle, Mme Gendreau s’est attardée à décortiquer l’article 85 de la loi anglaise sur le droit d’auteur où il est mentionné qu’une personne qui commande une photo ou un film conserve le contrôle sur sa diffusion.

« Cela veut-il dire que dans de grands évènements de la famille royale, la Couronne demande à la base aux radiodiffuseurs de filmer ? On peut se poser la question », dit-elle.

Par contre, le même article évoque le fait que la loi s’applique lorsque la commande est passée à des fins privées et domestiques. « Est-ce le cas ici ? C’est difficile à déterminer », ajoute Mme Gendreau.

En tout état de cause, elle ajoute que la monarchie « se fait bien plus de tort avec ça » [la demande faite aux médias] que si elle laissait passer une photo ou un clip désavantageux.

Vérification faite auprès de Radio-Canada, la société d’État « n’a reçu aucune demande de la sorte », indique Marie Tétreault, chef, promotion et relations publiques.

Avec The Independent, The Guardian, The Washington Post et The Conversation

En savoir plus
  • 4 465 477
    Nombre de visionnements du résumé de 25 minutes des funérailles d’Élisabeth II sur Channel 4 News depuis sa mise en ligne, le 19 septembre.
    Source : Youtube