(Istanbul) On peut à peine les compter, ancrés à perte de vue au large d’Istanbul. Avec l’accélération des exportations de céréales ukrainiennes, il y a embouteillage aux portes du Bosphore.

Hauts sur l’eau à vide, au ras des flots le ventre plein, 150 cargos patientaient mardi à la sortie et à l’entrée du détroit, près d’une douzaine de jours pour certains, avant de passer l’inspection scrupuleuse qui valide leur voyage.

Signé le 19 juillet sous l’égide des Nations unies et de la Turquie et opérationnel depuis le 1er août, l’accord passé avec Kyiv et Moscou sur les exportations de grains ukrainiens a déjà permis plus de 630 voyages dans les deux sens.

Au total, plus de 6,9 millions de tonnes sont parties vers l’Europe, le Moyen-Orient et, en moindre proportion, vers l’Afrique, selon les données du Centre de coordination conjointe (JRC) à Istanbul, qui autorise et contrôle les trajets.

Du blé et du maïs surtout, pour soulager les marchés mondiaux et répondre aux craintes de crise alimentaire.

À bord du Nord Vind, un vraquier noir et blanc sous pavillon des Barbades, le soulagement est perceptible quand l’équipe d’inspecteurs se présente au bas de l’échelle de corde pour accéder au pont.

Marwan, un des matelots syriens, confie à l’AFP qu’ils patientent ici « depuis onze jours. C’est trop. »

D’autant que, malgré la vue sur les mosquées de Sainte-Sophie et de Sultanhamet, « la zone de mouillage est difficile. Il faut sans cesse changer de place et redémarrer les machines… Pourquoi on attend comme ça ? » se demande-t-il.

C’est le JRC lui-même qui a sonné l’alarme le weekend dernier, voyant les délais s’étirer malgré ses efforts pour doubler le nombre d’équipes d’inspection, « de deux à quatre ».

Alors que le trafic avec les ports ukrainiens a pris son rythme de croisière, « la semaine dernière le temps d’attente des cargos sortant [d’Ukraine] atteignait neuf jours en moyenne », prévenait-il dans un communiqué évoquant « la congestion de la Mer de Marmara ».

Alors que le débat s’engage pour la reconduction de l’accord, le 19 novembre, le Centre de coordination a demandé aux armateurs de respecter à la lettre les procédures et de se préparer en amont « avant de se déclarer prêts », insiste-t-il car, « à plus de 50 reprises, l’inspection n’a pas pu être menée du premier coup ».

De leur côté, confie un observateur sous couvert d’anonymat, les compagnies maritimes se plaignent de délais qui leur coûterait « 5000 dollars par jour, plus le manque à gagner ».

Chaque équipe compte huit inspecteurs, deux pour chacune des parties à l’accord : Russie, Ukraine, ONU et Turquie – cette dernière essentiellement chargée de la logistique.  

L’examen du Nord Vind, 169 m de long et 27 250 tonnes de blé, va durer deux bonnes heures.

Fumigation, ventilation

Alors qu’une partie des visiteurs est déjà à bord, les autres s’avisent que les portes des cales sont ouvertes, faisant courir un risque d’infection aux inspecteurs. Hop, tout le monde redescend, une dizaine de minutes perdues.

Chaque cargaison doit en effet subir une fumigation de pesticide – du phosphate d’aluminium – pour protéger l’intégrité des céréales contre les infestations diverses, résume Udani Perera, inspectrice détachée auprès de l’ONU par la marine sri lankaise,  

« Puis les cales doivent être ventilées, mais elles auraient dû être refermées avant notre arrivée pour la santé de l’équipe », explique-t-elle.

Une fois à bord, les inspecteurs se répartissent les tâches : vérification des livres de bord, papiers d’identité, trajet effectué, cuves de fuel et, bien sûr, état des grains.

Udani Perera épluche les documents de l’équipage et vérifie ses quartiers, « pour s’assurer qu’aucune personne non autorisée ne se trouve à bord ».

Pendant ce temps, ses collègues ukrainiens mesurent l’état de la jauge de fuel et les Russes descendent le long des coursives et réalisent des tests dans les cales.

« Votre bateau est l’un des meilleurs », glisse au commandant l’un d’eux.

Feu vert pour le voyage vers Tunis, destination finale du Nord Vind.

Le matin, l’inspection de l’énorme Chola Treasure, un vraquier de 225 m de long aux couleurs de Singapour qui attend – à vide – de faire route vers Chronomorsk, près d’Odessa, a pris plus de trois heures.

« La durée dépend de la taille du navire et de son état de préparation. Ce matin, il manquait des documents », souffle la jeune inspectrice.

Trop de temps perdu au final. Le soleil décline et seuls deux des quatre bateaux prévus ont pu être inspectés.