(Bakhmout) Depuis trois mois, Oleksandra Pylypenko, 67 ans, et son mari Mykola, cancéreux, vivent à Bakhmout sans eau, sans électricité, sans gaz, mais aussi sans produits alimentaires de base, alors que la ville, sur le front Est de l’Ukraine, se délite au fil des bombardements russes.

Autrefois peuplée de 70 000 habitants, la localité, connue pour son vin et sa mine de sel, s’est retrouvée en juillet en tête des cibles visées par Moscou, après que les troupes russes ont capturé Sievierodonetsk et Lyssychansk, dans le Donbass voisin.

Trois mois de pilonnage n’ont pas eu raison de la résistance des soldats ukrainiens, quand Bakhmout s’est à l’inverse vidée de sa population… ou du moins de ceux qui pouvaient fuir une ville désormais très calme, quand les obus font silence, et largement détruite.

Oleksandra et Mykola, eux, ne pouvaient pas. Comme tous les habitants de l’est de Bakhmout, ils doivent à présent, pour aller au centre-ville, franchir la rivière Bakhmouta sur des planches instables, les troupes de Kyiv ayant fait exploser le pont en cas d’avancée russe.

Mykola, ancien ouvrier d’une usine de meubles atteint d’un cancer du poumon, « n’est même pas capable de descendre dans la cave » de leur petite maison lorsque les armes grondent, selon Oleksandra. Traverser le cours d’eau est pour lui tout bonnement inenvisageable.

« Rien à faire »

Alors que le froid et l’hiver approchent, tout comme l’armée russe, Oleksandra fond en larmes, en racontant ses malheurs à l’AFP : « Du bois de chauffage, comment puis-je en obtenir ? Il n’y a aucun moyen d’en avoir ici. Je n’ai pas d’argent pour payer une livraison. »

Si le couple dispose pour l’instant, autour de la maison, de plus de grappes de raisin violet sucré qu’il ne pourra en manger et qu’il a pu récolter des seaux de noix, les produits de base manquent, à commencer par les pommes de terre et les oignons, déplore-t-elle.

Et d’énumérer : « Pas de gaz, pas d’électricité depuis trois mois, pas d’eau », sauf celle que la pluie apporte, qu’Oleksandra dit « utiliser pour cuisiner. »

Le ciel a été plutôt pluvieux en début de semaine, transformant les chemins de terre empruntés par les convois militaires en des champs de boue. Les rives escarpées de la Bakhmouta, qui mènent au ponton de fortune, s’avèrent plus glissantes que jamais.   

Le couple, dont les enfants et petits-enfants ont fui, se sent pris au piège. « Maintenant il fait nuit. Que faire ? Rien. On ne peut rien faire. Et ces explosions, on ne les supporte plus. Quand est-ce que ce sera fini ? », s’affole Oleksandra.

Leur tête-à-tête est d’autant plus angoissant que Mykola, 66 ans, risque de ne pas passer l’hiver, même si la guerre l’épargne. « Ils m’ont dit de me préparer, c’est tout, soupire sa femme. Je sors et je pleure pour qu’il ne me voie pas. »

« Hystérique »

De sa maison, au toit endommagé par des éclats d’obus, Oleksandra aperçoit alors l’église Saint Mykola, également frappée par la guerre. La fontaine devant la porte a été bâchée sous du plastique, les vitraux condamnés. Le clocher apparaît perforé par un obus, les murs marqués par des bombes à fragmentation.

À Bakhmout, les habitants hésitent à communiquer leurs noms de famille à l’AFP, une force russe, vraisemblablement dirigée par des mercenaires de la compagnie Wagner, s’emparant de villages au sud de la ville. Les combats s’intensifient. Des échanges de tirs d’artillerie éclatent chaque jour.  

« Je n’ai aucune idée de qui bombarde », affirme Gennady, 66 ans, un jerrican d’eau sur le porte-bagage de son vélo.

« D’ici, de là, de là-bas. Des armes automatiques, des mitrailleuses lourdes. On ne sait jamais ce qu’ils vont tirer ensuite », raconte-t-il à l’AFP, en rentrant chez lui auprès de son fils adulte. Sa femme, elle, a fui la ville. « Elle était hystérique, elle tremblait ».

Fataliste, il ajoute : « Ce qui arrive, arrive. Je vais me coucher et je dors. Je ne me cache pas dans la cave. La maison de son voisin a été touchée par un bombardement… ».