Dans la région de Donetsk, la ville de Lyman a été libérée par l’armée ukrainienne après cinq mois d’occupation russe. Notre collaborateur a suivi un soldat rentré chez lui pour mieux repartir et ne jamais revenir, n’ayant trouvé que désolation et destruction sur son passage.

Sur les routes boueuses de l’est de l’Ukraine, en ce lundi matin pluvieux, un 4 X 4 fatigué serpente dans les territoires désolés de la région de Donetsk. Oleksandrivka, Novosolika, Drobysheve : autant de petits villages autrefois pittoresques qui ne sont plus qu’un amas de pierre et de tôle froissée.

Sur les bords de la route, le VUS dépasse des carcasses de voitures et de tanks calcinés. À son bord, deux soldats ukrainiens : Chub, 35 ans, et Yvan-Python, de son nom de guerre, 31 ans*. Ils profitent d’un jour de repos pour se rendre à Lyman, où Yvan s’apprête à découvrir ce qu’il reste de sa maison, achetée en janvier dernier.

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Yvan, soldat ukrainien

Le 24 février, le premier jour de l’invasion russe, cet homme au visage poupon et à la fine moustache a pris ses affaires et est parti pour la capitale afin de rejoindre les rangs de l’armée. Il n’a plus revu sa maison depuis et ne se fait aucune illusion. « Lyman a été pilonné par les Russes pendant des semaines, je ne vois pas comment ma maison aurait pu y échapper », explique Yvan en filmant les rues désertes de la ville qui défilent par les fenêtres du véhicule. Sa mère et ses sœurs, réfugiées en Pologne, lui ont demandé de tout capter.

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Yvan, visitant sa maison laissée à l’abandon, à Lyman

C’est presque devenu une blague pour les soldats du coin. Croisé à un point de contrôle, un autre soldat originaire de Lyman fait défiler une vidéo des restes de sa maison calcinée devant deux compagnons d’armes hilares. « Alors que nous, on a encore la nôtre. Enfin, pour l’instant ! », plaisante l’un d’eux, dont la maison se trouve à Krimmina, le village où les combats font rage depuis la libération de Lyman.

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Des personnes font la queue pour recevoir de la nourriture et des médicaments à Lyman, le 5 octobre, quelques jours après la reprise de la ville par les forces ukrainiennes.

Sans surprise, la maison d’Yvan a en effet été touchée. Il marque une pause, hésitant à l’entrée : « J’y vais seul, la maison a pu être minée. » Les voisins d’Yvan sont des séparatistes prorusses. Ce ne serait pas la première fois que des habitants désignent la maison d’un soldat ukrainien à l’occupant russe pour qu’il la piège.

Dans les décombres, il note l’absence de nombreux objets : la télé, le four, le réfrigérateur, la cuisinière. « Sûrement récupérés par des habitants de la ville », croit savoir son compagnon, Chub, un grand gaillard au visage avenant.

Il y a beaucoup de prorusses parmi les gens qui sont restés, ainsi que des gens désabusés qui veulent juste la paix, qu’elle soit apportée par la Russie ou par l’Ukraine. Les jeunes, pour la plupart pro-Ukraine, sont partis de la ville avant l’occupation.

Chub, soldat ukrainien

« Les babouchkas de Poutine »

Une femme âgée portant un foulard coloré s’approche d’Yvan. Elle se félicite de son retour et de la victoire ukrainienne. Yvan accueille ses louanges avec froideur. « C’est une séparatiste, glisse-t-il après son départ. Mais comme elle a senti le vent tourner, elle fait mine de nous soutenir. »

D’après lui, la grand-mère d’apparence sympathique fait partie de celles qu’on surnomme « les babouchkas de Poutine », des personnes âgées soutenant les mouvements prorusses en Ukraine en échange de divers avantages comme une pension de retraite plus conséquente. « On recherche activement les gens qui ont ce profil et qui ont collaboré avec l’occupant russe. On est particulièrement attentifs à ceux qui ont participé à l’organisation des référendums d’annexion », explique un policier souhaitant garder l’anonymat, stationné à l’entrée de la ville.

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Soldats ukrainiens accrochant un drapeau de leur pays sur un véhicule blindé sur une route près de Lyman, le 4 octobre

Lyman a été libéré par l’armée ukrainienne le samedi 1er octobre. Il était occupé par les forces russes depuis mai dernier. C’est un nouveau revers pour Vladimir Poutine après la libération des villes d’Izioum et de Koupiansk, dans la région de Kharkiv, d’autant que la ville avait officiellement été annexée quelques jours plus tôt.

Fosses communes

À chaque libération, de Boutcha à Izioum, les découvertes macabres succèdent au soulagement des premiers jours. Lyman ne fait pas exception. Un médecin de l’hôpital général de Donetsk qui souhaite garder l’anonymat évoque la visite de plusieurs jeunes filles ces derniers jours, enceintes, sollicitant un avortement, dont une de 13 ans à qui il a dû répondre, navré : « trop tard, hélas ».

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Yvan, soldat ukrainien, arpentant une fosse commune à Lyman

Quelques jours plus tôt, deux fosses communes ont aussi été mises au jour par les autorités ukrainiennes, dans lesquelles reposeraient plusieurs centaines de corps. Dans l’une d’elles se profilent des tombes comportant le nom, la date de naissance et de mort ; dans d’autres, un simple numéro. D’après le gouverneur de la région de Donetsk, certaines dépouilles qui ont été exhumées portent des traces de tortures : les mains liées dans le dos ou des impacts de balle dans la nuque révélant des exécutions sommaires.

Yvan et Chub passent devant quatre sacs mortuaires noirs déposés aux abords de la fosse avec la sensation que l’histoire se répète : « Je ne comprends pas comment certains habitants peuvent soutenir les Russes après tout ça », dit Chub avec un air dégoûté.

À la fin de la journée, Yvan repasse une dernière fois devant sa maison. Il a confié son chat, retrouvé par miracle, à une amie de sa mère, et récupéré l’exemplaire d’un livre écrit par un de ses frères d’armes dans les décombres de sa maison. Il ne reviendra pas à Lyman. Il n’a plus rien à faire ici. « Au revoir, ma maison », dit-il simplement avant de monter dans la voiture.

*Les soldats ont demandé de taire leur nom pour éviter que leurs familles soient la cible de représailles.