Dans le pays scandinave, la régionalisation forcée de l’immigration connaît un succès relatif.

(Svendborg, Danemark) Sujet de débats lors de la dernière campagne électorale québécoise, la stricte régionalisation de l’immigration fait consensus politique au Danemark. Depuis 1999, le gouvernement oblige une répartition équitable des personnes réfugiées et migrantes sur le territoire, qui obtient des résultats plutôt mitigés.

L’ambiance est bon enfant à la « boutique gratuite des gentils voisins » de Svendborg. Annette accroche le nouvel arrivage de dons de vêtements tandis que la pasteur Merete s’occupe de placer le drapeau danois à l’entrée, une convention locale pour annoncer l’ouverture.

PHOTO XAVIER SAVARD-FOURNIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Les centres de dons sont l’un des rares endroits où les réfugiés ont le droit de choisir au Danemark.

« Ici, pas de problèmes comme en Somalie. Mais, trop froid », rigole dans un anglais approximatif une dame venue voir si un manteau d’hiver à sa taille était enfin arrivé.

Des gens d’un peu partout se sont mis à venir ici. […] On se fait dire que c’est un luxe de redonner du pouvoir aux réfugiés [en leur permettant d’au moins choisir ici les vêtements qu’ils veulent].

Merete, pasteur de Svendborg

Car au Danemark, il n’y a qu’à la « boutique des gentils voisins » que réfugiés et migrants peuvent choisir sans perdre au change. Depuis 1999, ils doivent rester au moins trois ans dans la municipalité qui leur a été assignée, sous peine de perdre accès aux services de l’État. Ce luxe de choisir, Amer et Youness* auraient donc bien aimé l’avoir lorsqu’ils sont arrivés de Syrie en 2015-2016.

« Il y a plus d’embûches que d’aide. J’ai été chanceux. Je travaille dans la construction. Mais ceux qui ont des amis à Copenhague ou de l’expérience en affaires, ce serait mieux qu’ils soient dans une grande ville [plutôt qu’ici] », explique Youness, qui vit dans un petit village près de Hjørring, dans le nord du pays.

Des familles séparées

Lors de l’arrivée du père septuagénaire d’Amer et de sa mère dans la fin soixantaine en 2017, ils n’ont pas eu le droit de rejoindre leurs enfants à Odense, dans le centre du pays.

Pour vivre ensemble, le couple a donc été hébergé par ses enfants pendant plus de trois ans. Lorsque les parents devaient se rendre dans le village de Give pour utiliser les services publics liés à leur statut de réfugié, la famille faisait régulièrement l’aller-retour de 220 kilomètres pour éviter que les parents ne perdent l’accès à un médecin, par exemple.

« Ce sont des personnes âgées, l’adaptation est plus dure. Comment ça les aide à s’intégrer s’ils se sentent isolés et qu’ils n’ont rien à faire au quotidien ? On comprend l’intention, mais ça aurait pu être fait de façon différente », se questionne Amer, 34 ans.

Plus de mixité sociale, moins de citoyenneté

Si toutes les personnes rencontrées s’entendent pour dire que retirer le choix du lieu d’établissement aux réfugiés et migrants n’est pas l’idéal, la loi de 1999 aura au moins eu l’effet d’aussi forcer toutes les municipalités à contribuer à l’effort d’accueil.

« Nous souhaitons que les réfugiés soient en mesure de choisir où ils veulent vivre. Mais nous croyons que c’est une bonne idée que toutes les municipalités danoises ouvrent leurs portes », lance Mette Blauenfeldt, chef de section du département intégration au Danish Refugee Council (DRC).

« Mais, on le dit haut et fort quand une famille de réfugiés est placée loin des transports, des écoles, dans de tout petits villages avec une faible offre d’emploi », ajoute Kenneth Flex, directeur du département intégration au DRC.

Selon une étude récente de la fondation danoise Rockwool, il n’y a d’ailleurs jamais eu autant de mixité au Danemark, bien qu’elle soit couplée à une plus grande division entre les classes sociales.

Cependant, là où le pays gagne en diversité, il le perd en citoyens, confirme une étude de l’Université Aarhus qui a comparé les taux de naturalisation des immigrants avant et après la loi de 1999.

« Considérant qu’acquérir la citoyenneté peut être vu comme l’atteinte d’une intégration réussie, on se rend compte que 25 % de moins de réfugiés qu’avant [1999] l’acquièrent », présente Frederik Jørgensen, le politologue derrière l’étude.

« Une des façons d’augmenter le degré de succès de l’intégration, [c’est d’avoir] une adéquation entre les besoins de l’endroit où [les réfugiés] vivent et les forces individuelles de chacun. Si vous avez un système volontaire de répartition territoriale, les immigrants peuvent donc faire ce calcul par eux-mêmes », ajoute-t-il.

Youness se demande quand même quel est le prix à payer pour les réfugiés comme lui. Bien qu’il se considère parmi les chanceux, il sent une forte augmentation du racisme ambiant au cours des dernières années et songe maintenant à quitter le pays.

La loi de 1999 n’a d’ailleurs pas été appliquée dans le cas ukrainien.

* Nom fictif donné par souci de sécurité