(Paris) « Sans le feu, personne ne pourrait tenir ici » : sur un campement parisien, seule la chaleur des flammes permet aux migrants d'affronter la nuit, ses températures glaciales et son humidité pénétrante.

Cela fait plusieurs heures, en cette nuit de jeudi à vendredi, que le quartier est plongé dans le noir sous des températures négatives. Pourtant, beaucoup sont encore éveillés dans ce camp de fortune situé sous le métro aérien, entre les stations La Chapelle et Stalingrad, dans le nord de Paris.

À trois heures du matin, plus d'une douzaine de feux sont encore attisés.

« Il fait trop froid pour dormir... La seule chose à faire, c'est se mettre autour du feu, parler avec des amis, attendre », résume Reza (il n'a pas donné son nom), 24 ans, un des nombreux Afghans du campement. Lui dort quelques heures le jour, quand il arrive à se faire une place dans un centre d'accueil.

Ce soir-là, certains ont trouvé d'anciennes poubelles cylindriques en acier pour allumer des feux de bois. D'autres démarrent des foyers à même le sol, circonscris par de simples pierres.

Tout est bon pour entretenir les flammes: planches de bois, carton, mais aussi du plastique, qui dégage une fumée qui prend le nez et pique les yeux.

À raison de cinq, dix et jusqu'à vingt personnes autour de chaque feu, ils sont entre 150 et 200 à rester debout, parmi les 400 à 500 personnes réunies sur le campement, démantelé au petit matin pour la troisième fois en moins de deux mois.

Car les autorités veulent à tout prix éviter un point de fixation pour les migrants sans-abri, quand les associations réclament pour eux un centre de premier accueil qui éviterait un passage obligatoire par la rue.

À quelques mètres du feu, pendant la nuit, la puissance de certaines flammes permet encore de tenir sans grelotter. Au-delà, pieds et mains gèlent rapidement. « Sans le feu, personne ne pourrait tenir ici », reprend Reza. Peu couvert, il se met rapidement à frissonner lorsqu'il s'écarte des braises pour s'emparer d'un gobelet de thé distribué par des associatifs.

Engelures

Comme lui, beaucoup limitent au strict nécessaire leurs déplacements, surtout ceux qui les éloigneraient du feu.

Les mouvements sont rares. Les mêmes visages sont éclairés par les flammes à 18 h 00, 23 h 00, 3 h 00 du matin. Epuisés, ils échangent peu de mots, d'un ton mécanique. Même leurs positions varient peu : beaucoup restent assis sur des sièges de camping ou en plastique, les mains avancées vers le feu.

Parmi les rares exceptions, cet homme qui retire ses chaussures pour placer ses pieds couverts d'engelures à quelques centimètres du feu. Puis qui, une fois la sensibilité revenue dans ses orteils, s'empresse de se rechausser.

Beaucoup partagent une tente avec une ou deux autres personnes, parfois plus.

Slalomant entre les groupes, en quête d'une place libre près d'un feu, Riza Shah s'arrête subitement devant une tente. « Chez moi ! », dit-il avec un large sourire.

Il ouvre: un homme emmitouflé dans un sac de couchage regarde la télévision afghane sur son téléphone. A côté de lui, deux sacs de couchage vides. « Quand il pleut, on reçoit de l'eau depuis le métro », explique Riza Shah.

Un peu plus loin, il lâche un soupir en observant un feu éteint dans une poubelle retournée. Quelques minutes plus tard, celle-ci a disparu, récupérée par un autre groupe.

À quelques mètres de là, Amanullah Wardak, 38 ans, montre son lit : un grand carton d'emballage, dans lequel il se glisse pour se couper du vent, en se réchauffant tant bien que mal dans une couverture de moins d'un mètre.

Pris d'une quinte de toux, il sort de sa poche ce qui lui a été donné lors d'une maraude: quelques sachets de doliprane. « Le médecin n'en avait rien à faire de moi », lâche-t-il, découragé.

Malgré ce dénuement, lui finira par s'engouffrer dans son carton pour dormir un peu. Trop affaibli, peut-être, pour se faire une place au coin du feu.