Un groupe de travailleurs humanitaires qui venaient en aide aux migrants en détresse dans la mer Égée se retrouve dans le collimateur de la justice grecque.

Le procès, qui s’est ouvert en début de semaine sur l’île de Lesbos, vise plus d’une vingtaine de personnes, dont une réfugiée syrienne, Sarah Mardini. La jeune femme avait fait preuve d’un courage remarqué en 2015 en décidant, après une panne, de tirer à la nage avec sa sœur l’embarcation surchargée utilisée pour sa traversée, un épisode ayant inspiré un film de Netflix.

Plusieurs organisations de défense des droits de la personne fustigent les procédures lancées par les autorités grecques, décrites dans un rapport du Parlement européen comme « le plus important cas de criminalisation de la solidarité » du continent.

« La Grèce cherche à intimider les personnes visées et à décourager toute autre organisation humanitaire désirant poursuivre des activités similaires. C’est un procès-spectacle », dénonce en entrevue Catherine Woollard, qui dirige l’European Council on Refugees and Exiles (ECRE).

Il est de plus en plus fréquent, dit-elle, que des États du continent aient recours aux tribunaux pour décourager la société civile d’intervenir en soutien aux migrants, en mer ou sur terre.

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« Si aider est un crime, nous sommes tous criminels », peut-on lire sur cette banderole affichée devant le tribunal de Mytilène, dans l’île de Lesbos.

Bill Van Esveld, analyste de Human Rights Watch qui suit de près le dossier grec, note que les autorités ont tout fait pour « prendre les choses à l’envers » et dépeindre les travailleurs humanitaires comme des criminels.

Des accusations d’espionnage ont notamment été retenues, affirme-t-il, sous prétexte que les accusés avaient écouté des échanges radio, librement accessibles, pour tenter d’identifier la position de navires en détresse.

Travailleurs d’une ONG

Les travailleurs humanitaires ciblés œuvraient pour une organisation non gouvernementale, l’Emergency Response Centre International (ERCI), dûment enregistrée auprès des autorités grecques.

Son personnel venait en aide aux migrants arrivés sur les îles grecques et faisait des sorties en mer pour venir en aide à des embarcations en détresse, collaborant parfois même avec la garde côtière, explique M. Van Esveld.

Mme Mardini, qui s’était établie à Berlin, en Allemagne, après son arrivée en Europe, a décidé de faire une pause dans ses études pour travailler au sein de l’organisation et s’est retrouvée dans le collimateur des autorités en 2018.

Appréhendée alors qu’elle s’apprêtait à prendre l’avion, elle a dû passer plus de 100 jours en détention avant d’être autorisée à quitter le pays. Plusieurs dirigeants de l’ERCI ont été détenus à la même période, ce qui a entraîné l’interruption de toute activité de soutien aux migrants.

Les procédures en cours ont eu un énorme impact puisqu’il n’y a aucune organisation non gouvernementale menant actuellement des opérations de sauvetage en mer à proximité de l’île de Lesbos. Les gens ont peur de se faire arrêter.

Bill Van Esveld, analyste de Human Rights Watch

En plus d’être accusées d’une série de méfaits, les personnes visées font l’objet d’une enquête pour trafic de personnes, autre accusation aberrante niant, disent-ils, le bien-fondé de leurs intentions.

« Ce que nous avons fait est légal »

« Nous souhaitons désespérément que le procès aille de l’avant puisque nous savons que ce que nous avons fait est légal et nous voulons que le juge le reconnaisse », a commenté un des accusés, Sean Binder, dans une vidéo relayée en ligne par Human Rights Watch.

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Un des accusés dans l’affaire, Sean Binder

Le ressortissant allemand estime que la lenteur des procédures a servi à persécuter indûment les accusés, qui ont demandé plus tôt cette semaine que les irrégularités survenues dans le cadre du dossier mènent à leur acquittement. Le tribunal doit se prononcer à ce sujet sous peu.

Mme Woollard note que la répression judiciaire d’intervenants humanitaires n’est que l’un des stratagèmes problématiques utilisés par la Grèce pour envoyer le message que le pays n’est pas accueillant et réduire l’afflux de migrants.

La garde côtière, qui nie toute pratique de ce type, a notamment été accusée à plusieurs reprises de renvoyer des bateaux interceptés dans les eaux grecques vers la Turquie, parfois de périlleuse façon, sans égard au droit international.

Nombre de pays européens comptent sur la Grèce pour empêcher des réfugiés d’arriver sur les côtes du continent et tolèrent à cette fin les méthodes violentes utilisées par les autorités.

Catherine Woollard, qui dirige l’European Council on Refugees and Exiles

Dans une récente décision, la Cour européenne des droits de l’homme a blâmé la Grèce pour avoir négligé de mener une enquête approfondie sur la mort par noyade d’une dizaine de migrants qui se trouvaient dans une embarcation ayant chaviré alors qu’elle était tirée par la garde côtière en 2016.

Le verdict rend « partiellement » justice aux plaignants, mais semble peu susceptible d’influer à terme sur les pratiques du pays, note M. Van Esvald.

Du financement européen sert à soutenir des activités de contrôle migratoire qui sont « violentes » et bafouent les lois en vigueur, mais il n’y a pas, déplore-t-il, de condamnation en haut lieu émanant de la Commission européenne, la branche exécutive de l’Union européenne.

« Dans le meilleur des cas, on peut dire qu’ils préfèrent se mettre la tête dans le sable », conclut l’analyste.