(Ottawa) Le chancelier allemand Olaf Scholz n’a pas « pris à la légère » la décision d’autoriser ses alliés, dont le Canada, à exporter des chars Leopard 2 en Ukraine. C’est qu’au pays, une bonne partie de la population reste « traumatisée » par la Seconde Guerre mondiale et craint vivement un troisième conflit mondial, explique l’ambassadrice de l’Allemagne à Ottawa.

Le président de la Russie, Vladimir Poutine et son entourage jouaient déjà abondamment de cette corde sensible, mais le concert d’indignation (et de désinformation) s’est amplifié à Moscou depuis que l’Allemagne a donné le feu vert à l’envoi de ces chars d’assaut. Et le maître du Kremlin a de nouveau enfoncé le clou, jeudi.

« C’est incroyable, mais des chars allemands Leopard nous menacent à nouveau », a-t-il lancé lors d’une cérémonie à Volgograd – l’ancienne Stalingrad – visant à souligner les 80 ans de la mythique victoire soviétique contre l’Allemagne nazie dans cette ville du sud-ouest de la Russie. « Nous avons de quoi répondre et ça ne se limitera pas à des blindés », a ajouté le président russe.

Beaucoup d’Allemands ne sont pas immunisés contre ce genre de commentaire, soutient en entrevue Sabine Sparwasser, la cheffe de mission allemande au Canada. Et le chancelier Scholz, sur qui les Occidentaux exerçaient une pression monstre pour qu’il permette l’exportation de chars Leopard 2, ne pouvait faire la sourde oreille.

« Il y a une majorité de la population, entre 55 % et 60 %, qui y était favorable, mais il y a aussi une part non négligeable de la population qui a très peur d’être plongée dans une guerre, une possible Troisième Guerre mondiale », explique-t-elle de son bureau de l’ambassade, jeudi.

La peur est bien présente. On a des gens qui ont vécu la Seconde Guerre, qui en ont des souvenirs, qui sont encore traumatisés. Cette décision n’a donc pas du tout été prise à la légère. Pendant des années, nous avons refusé d’envoyer des armes dans des zones de conflit, par tradition pacifiste.

Sabine Sparwasser, cheffe de mission allemande au Canada

Et selon toute vraisemblance, c’est la ligne dans le sable que Berlin trace. Pas question d’envoyer à Kyiv, après les 14 Leopard 2, des avions de chasse ou des navires de guerre. « Le chancelier a été très clair à ce sujet », tranche Mme Sparwasser, en poste à Ottawa depuis cinq ans.

Lorsqu’elle a annoncé le don de quatre chars Leopard 2, la semaine dernière, la ministre de la Défense du Canada, Anita Anand, a ignoré les questions sur le possible envoi à l’Ukraine d’avions de combat. La vice-première ministre, Chrystia Freeland, ignore les questions des journalistes sur la signification du don de quatre chars depuis plusieurs jours.

Exit, le gaz russe

En plus d’opérer un virage à 180 degrés en matière de politique étrangère au lendemain de l’invasion de l’Ukraine, le 24 février dernier, l’Allemagne a revu de fond en comble sa politique énergétique : désormais, elle qui s’abreuvait au gaz russe à faible coût en est complètement sevrée. D’où sa soif de sources d’énergie afin de remplacer les 55 % qui provenaient de la Russie.

« C’est majeur comme changement », insiste Mme Sparwasser.

Le gouvernement allemand était allé jusqu’à persuader le gouvernement canadien de faire un accroc à son propre régime de sanctions afin d’autoriser l’envoi d’une turbine prétendument nécessaire au bon fonctionnement du gazoduc Nord Stream 1.

L’exemption a été révoquée depuis, la Russie n’ayant pas touché à la turbine.

En quête de nouveaux partenaires énergétiques, le chancelier Scholz a visité le Canada en août dernier. « L’hiver arrive, mais le chancelier repart sans promesses pour le gaz naturel liquéfié [GNL] », titrait l’agence de presse Reuters à l’issue de ce déplacement.

L’hiver allemand est assez doux jusqu’à présent, se console Mme Sparwasser. Et, non, le voyage de son chef d’État n’a pas été un désastre. « Tout le monde parle de GNL, mais le chancelier n’est pas arrivé ici avec le GNL comme priorité absolue. »

Une alliance sur l’hydrogène a été signée entre les deux pays, rappelle la diplomate.

Et de toute manière, depuis quelques mois, le Canada, l’Allemagne et les autres pays du G7 n’ont peut-être jamais été aussi unis – face à Poutine –, plaide-t-elle.

Avec l’Agence France-Presse