(Adana, Turquie) À Adana, cinquième ville en importance de Turquie, les résidants, encore sous le choc du séisme, oscillent entre colère contre les autorités et espoir de retrouver des survivants.

« Je suis tellement en colère. Nous sommes un pays de tremblements de terre, pourtant rien n’est fait. Nous ignorons cela, et après des évènements comme celui-là, nous pleurons », dit Nimet Aydoğan, elle-même aux bords des larmes. Avec son mari, elle observe anxieusement depuis de nombreuses heures les opérations de secours qui se poursuivent dans ce qu’il reste d’un immeuble de 13 étages.

PHOTO ROMAIN CHAUVET, COLLABORATION SPÉCIALE

Parc d’Adana transformé en abri de fortune

Cinq membres de leur famille, dont des enfants, y vivaient et manquent toujours à l’appel. C’est devant des centaines de regards inquiets que les secouristes s’activent. Parfois, ces derniers croient entendre du bruit sous les décombres. Ils demandent alors un silence complet aux personnes qui se massent autour des opérations de recherche pour vérifier s’il y a bien une vie humaine présente sous les débris. Mais bien souvent, ce n’est pas le cas.

Plus les heures passent, plus les chances de retrouver des survivants s’amenuisent. À cela s’ajoutent aussi les températures hivernales qui réduisent les chances de survie. Mais malgré tout, Nimet Aydoğan tente de garder espoir en se rattachant à la foi.

Si je suis rationnelle, je sais que c’est impossible de les retrouver vivants en raison de la météo et de la faim, mais peut-être que Dieu nous aidera. Ça serait vraiment un miracle si cela arrive !

Nimet Aydoğan, mère de famille ayant des proches disparus

Comme bien d’autres, Nimet Aydoğan se demande pourquoi son pays n’en fait pas plus pour se protéger des menaces sismiques. « Ce problème est connu depuis longtemps, mais rien ne change. Pourquoi la Turquie continue comme cela ? Pourquoi nous ne sommes pas comme au Japon ? », s’interroge-t-elle avec émotion. Avec son mari, elle continuera de venir voir les opérations de secours jusqu’à ce qu’elle ait des nouvelles de ses proches, positives ou négatives.

Critiques 

Ces propos et les critiques sur la réponse du gouvernement turc au séisme sont partagés par de nombreux résidants d’Adana, mais se multiplient aussi sur les réseaux sociaux. Twitter était bloqué mercredi sur les principaux fournisseurs de téléphonie mobile turcs. Plus tôt en journée, le président turc avait reconnu des « lacunes » dans la gestion de cette tragédie, tout en fustigeant les critiques « malhonnêtes ».

PHOTO EMILIE MADI, REUTERS

Personne blessée transportée vers l’hôpital d’Adana

« Les autorités ne disent pas la vérité, elles ne contrôlent pas la situation », dit Ezgi, une résidante locale, qui ne veut être identifiée que par son prénom. « La vérité, c’est que beaucoup de bâtiments ont été détruits à Adana parce que les constructeurs n’ont pas respecté les normes antisismiques », pense-t-elle.

Avec des proches, elle est venue voir l’avancée des opérations de recherches dans plusieurs lieux de la ville touchée. Comme bien d’autres, elle oscille entre tristesse et colère.

Les autorités connaissent ces problèmes, mais rien n’est fait et les gens meurent à cause de cela.

Ezgi, résidante d’Adana

À côté d’elle, de nombreux bénévoles continuent de venir en aide aux résidants touchés de près ou de loin par les évènements. Couvertures, nourriture, boissons chaudes, entre autres, leur sont offertes. Un de ces bénévoles, un humanitaire indonésien qui vit à Istanbul, dit n’avoir jamais rien vu de tel. « Cet évènement est le pire. Il y a les morts, mais aussi les besoins qui sont très importants. Les gens souffrent beaucoup, c’est pourquoi nous sommes venus ici », explique en coup de vent Al Faruq Abdul Aziz avant de continuer à distribuer des denrées.

La tension est palpable à Adana. Un large périmètre de sécurité est mis en place autour des zones de recherches, où se rassemblent des centaines de citoyens, pour se réconforter, échanger et en quelque sorte affronter cette tragédie ensemble.

Incertitudes

À Adana, beaucoup de résidants ont décidé de leur propre chef de quitter leur logement, préoccupés par les structures fragilisées et de possibles répliques. Certains ont trouvé refuge chez des proches ou des amis, mais pour d’autres, c’est l’incertitude totale.

« Peut-être que je dormirai dans ma voiture ce soir, je ne sais pas encore. C’est horrible […] Presque toutes les maisons sont vides, les gens sont juste effrayés », dit Halim, un résidant de ce quartier qui est venu voir les opérations de recherche dans un bâtiment totalement effondré, à deux pas de sa résidence. Ce trentenaire, qui vit seul, ne veut plus retourner chez lui, craignant pour sa vie. En regardant l’immeuble détruit de son quartier, il est bien conscient que ça aurait pu être le sien.

PHOTO ROMAIN CHAUVET, COLLABORATION SPÉCIALE

Parc d’Adana transformé en abri de fortune

Quelques mètres plus loin, un parc a été transformé en abri de fortune pour des centaines de résidants effrayés, qui préfèrent dormir au froid dans une tente plutôt que dans leur appartement, de peur qu’il ne s’écroule. Des jeunes, des plus âgés, des familles, des personnes seules, tous tentent de se réchauffer devant des petits feux alors que la nuit tombe et que les températures baissent. Pendant que les plus jeunes jouent sur des balançoires, les plus vieux essayent de passer le temps tant bien que mal.

L’aide humanitaire en provenance des quatre coins du monde continue d’arriver par l’aéroport d’Adana, qui s’est transformé en véritable centre de logistique pour les déploiements sur le terrain. Des professionnels, mais aussi de nombreux bénévoles qui ont décidé immédiatement de venir en aide aux populations touchées par le séisme. Depuis Adana, des trajets en autocar sont mis en place pour acheminer l’aide au plus près de l’épicentre du séisme. Pendant ce temps, la peur de nouvelles tragédies continue de hanter de nombreux Turcs. « J’espère vraiment que l’on ne revivra plus jamais cela », souhaite Halim. Sans trop y croire.

Les 10 séismes les plus meurtriers du XXIe siècle

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Secouriste américain en Haïti en janvier 2010

Avec son bilan provisoire qui augmente d’heure en heure, le séisme qui endeuille la Turquie et la Syrie depuis lundi se classe déjà parmi les 10 plus meurtriers du XXIe siècle.

230 000 morts en Asie du Sud-Est (2004)

Le 26 décembre 2004, un séisme de magnitude 9,1 au large de Sumatra (Indonésie) provoque un tsunami gigantesque qui fait plus de 230 000 morts sur les littoraux d’une dizaine de pays d’Asie du Sud-Est, dont 170 000 en Indonésie. Les vagues gigantesques, parties à 700 km/h, atteignent jusqu’à 30 mètres de hauteur.

200 000 morts en Haïti (2010)

Le 12 janvier 2010, un séisme de magnitude 7 fait plus de 200 000 morts en Haïti et jette à la rue 1,5 million de personnes. La secousse transforme la capitale, Port-au-Prince, en champ de ruines. Dans la foulée, le pays est touché à partir d’octobre 2010 par une épidémie de choléra, introduite par des Casques bleus népalais venus après le séisme. Elle fera plus de 10 000 morts jusqu’en janvier 2019.

87 000 morts en Chine (2008)

Le 12 mai 2008, un séisme de magnitude 7,9 fait plus de 87 000 morts et 4,45 millions de blessés, ravageant de larges zones de la province du Sichuan (sud-ouest de la Chine). Parmi les victimes se trouvent des milliers d’élèves, tués dans l’effondrement d’écoles à la construction précaire.

73 000 morts dans le Cachemire (2005)

Le 8 octobre 2005, un séisme de magnitude 7,6 fait plus de 73 000 morts et 3,5 millions de sans-abri, principalement dans la zone du Cachemire sous contrôle pakistanais. Les infrastructures médicales sont presque réduites à néant.

31 000 morts en Iran (2003)

Le 26 décembre 2003, un séisme de magnitude 6,6 frappe la ville de Bam, dans le sud-est de l’Iran, et fait plus de 31 000 morts, près du quart de la population de la ville. L’ancienne ville en briques crues, merveille du patrimoine mondial, est anéantie.

20 000 morts en Inde (2001)

Le 26 janvier 2001, un séisme de magnitude 7,7 touche l’État du Gujarat (ouest de l’Inde) et tue plus de 20 000 personnes. La ville de Bhuj est détruite.

18 500 morts au Japon (2011)

Le 11 mars 2011, le Japon est secoué par un séisme de magnitude 9,1. Moins d’une heure après, une vague gigantesque dépassant 20 mètres par endroits s’abat sur le littoral de la région du Tohoku (nord-est), emportant toute vie sur son passage. L’eau envahit la centrale nucléaire de Fukushima, dont les cœurs de trois réacteurs entrent en fusion, provoquant la pire catastrophe nucléaire civile depuis Tchernobyl (Ukraine) en 1986. La catastrophe fait quelque 18 500 morts et force plus de 165 000 personnes du département de Fukushima à évacuer à cause des émissions radioactives.

Déjà plus de 11 200 morts en Turquie et en Syrie (2023)

Le 6 février dernier, un séisme de magnitude 7,8 frappe le sud de la Turquie et la Syrie voisine, suivi par une très forte réplique de magnitude de 7,5. Le bilan encore très provisoire s’élevait à plus de 11 200 morts mercredi.

9000 morts au Népal (2015)

Le 25 avril 2015, près de 9000 personnes meurent dans un séisme de magnitude 7,8 qui frappe le centre du Népal. La capitale Katmandou et les régions de l’épicentre, à 80 kilomètres de là, sont dévastées.

6000 morts en Indonésie (2006)

Le 26 mai 2006, un séisme de magnitude 6,3 dans l’île de Java fait près de 6000 morts. La catastrophe fait environ 38 000 blessés et plus de 420 000 sans-abri.

Agence France-Presse