La Russie est à la manœuvre pour déstabiliser ce petit pays voisin de l’Ukraine, dans ce qui a tout l’air d’un projet pilote pour regagner son influence dans la région

Des manifestations bruyantes

Fin d’hiver difficile en Moldavie. De nouvelles manifestations ont eu lieu dimanche dernier dans la capitale Chisinau, sur fond d’alertes à la bombe visant l’aéroport principal du pays.

La manifestation – qui s’est soldée par une cinquantaine d’interpellations – avait été organisée et financée par le parti d’opposition prorusse Shor. La formation politique, fondée par l’oligarque moldave Ilan Shor (aujourd’hui en fuite pour cause de fraudes massives) cherche à tabler sur la colère de la population, frappée par une inflation spectaculaire de 30 %, dans le but de faire vaciller le pouvoir.

PHOTO DANIEL MIHAILESCU, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

La formation politique cherche à capitaliser sur la colère de la population, frappée par une inflation spectaculaire de 30 %, avec l’objectif de faire vaciller le pouvoir.

Petit pays de 2,5 millions d’habitants coincé entre l’Ukraine et la Roumanie, la Moldavie est l’État le plus pauvre d’Europe. Mais depuis que son gouvernement – pro-européen – a décidé de tourner le dos au gaz et aux importations russes dans la foulée de la guerre en Ukraine, la crise socio-économique ne fait que s’aggraver.

« C’est un pari politique qui affecte énormément la population », résume Magdalena Dembinska, professeure de science politique à l’Université de Montréal.

« Les gens n’arrivent plus à vivre. Ils veulent que le pays soit stable et qu’on leur donne un niveau de vie minimal. Ça ne veut pas dire qu’ils sont prorusses. Mais le parti Shor instrumentalise cette grogne en leur offrant de la nourriture et en les payant pour prendre part à des manifestations. »

Une succession d’évènements

Ces troubles sont les derniers d’une série d’évènements ayant frappé la Moldavie depuis le début de la guerre en Ukraine et l’annonce de sa candidature à l’Union européenne (UE) en juin 2022.

Craignant de perdre ce qu’il lui reste d’emprise sur cette ancienne république soviétique, indépendante depuis 1991, la Russie multiplie les opérations visant à ébranler le gouvernement moldave en instillant le désordre et la désinformation.

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La blason de la Transnistrie déployé dans une rue de Tiraspol, ville centrale de cette région séparatiste prorusse de Moldavie.

Au printemps 2022, une série d’attaques en Transnistrie, région séparatiste prorusse de Moldavie, ont fait craindre une escalade du conflit ukrainien. Moscou avait accusé la Moldavie et l’Ukraine d’être derrière ces attentats.

La police moldave a annoncé plus récemment l’arrestation des membres d’un réseau « orchestré par Moscou » pour « déstabiliser » le pays. Quelques jours plus tôt, 182 ressortissants étrangers, soupçonnés d’être des agents provocateurs prorusses ont été interdits d’entrée au pays, dont un « possible membre » du groupe paramilitaire russe Wagner, selon les autorités. On soupçonnait un complot visant à renverser le gouvernement.

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Un pont traversant le Dniestr près de Vadul lui Voda, frontière naturelle entre la Transnistrie et le reste de la Moldavie

Pas en reste, les services de sécurité de Transnistrie disent avoir déjoué un complot ukrainien visant à assassiner le président de cette province sécessionniste. Ces révélations aux conséquences potentiellement inflammables ont été démenties par Kyiv.

« Ce que tout cela suggère, c’est que la Russie cherche à créer l’incertitude, la peur et l’anxiété, et que cela fait son affaire, explique le politologue Stefan Wolff, professeur de sécurité internationale de l’Université de Birmingham. Ça a empiré depuis un mois. Il y a un effet cumulatif. Mais je ne pense pas qu’on soit encore arrivé au point de bascule. »

Un modèle pour la suite

La Moldavie est un pays divisé, où les liens avec la Russie sont encore bien réels. Selon un sondage SBS-Research effectué fin janvier, 47 % de sa population ne souhaite toujours pas de rattachement à l’UE. Ses institutions, vulnérables, et son armée, quasi inexistante, en font un terrain de jeu favorable pour Moscou, qui en profite pour semer la confusion et multiplier les points de pression.

L’idée est de déstabiliser le pays pour retourner vers un gouvernement prorusse, afin que l’OTAN et l’UE ne s’approchent pas trop de la Russie.

Magdalena Dembinska, professeure de science politique à l’Université de Montréal

Stefan Wolff hésite à parler d’un changement de régime. Selon lui, le Kremlin se sert plutôt la Moldavie comme d’une « répétition » en vue d’autres projets.

« Si ce plan réussit, la Russie l’utilisera comme modèle pour faire des choses semblables dans d’autres endroits comme la Géorgie ou le Haut-Karabakh. Mais la victoire ultime serait de fomenter des troubles dans les pays baltiques, en particulier l’Estonie et la Lituanie, où il y a de grosses minorités ethniques russes. »

Moins de pression, mais….

Conscients de la menace, les Occidentaux multiplient depuis quelques mois leurs marques de soutien à la présidente Maia Sandu et son premier ministre nouvellement élu, Dorin Recean. Visites répétées à Chisinau. Contacts diplomatiques soutenus. Aides financières européennes au gouvernement moldave pour gérer la crise économique.

PHOTO SLAWOMIR KAMINSKI, FOURNIE PAR AGENCJA WYBORCZA, ARCHIVES REUTERS

Le président polonais Andrzej Duda et la présidente moldave Maia Sandu, en visite à Varsovie, en février dernier

Mais le dossier moldave est loin d’être clos, prévient Stefan Wolff.

« Je crois qu’on verra encore plus de cette instabilité. La population va continuer de protester. Avec le printemps, les prix d’énergie vont baisser. Les gens vont retourner à l’agriculture de subsistance. Beaucoup de jeunes Moldaves vont être travailleurs saisonniers en Europe. La pression va s’atténuer. Il y aura période de calme… au moins jusqu’à l’automne. »